Chefs d'oeuvre

L'actualité politique et sociale emprunte chez Picasso des véhicules métaphoriques ou allégoriques, supports à une réflexion sur la condition humaine. Le conflit et la violence sont volontiers endossés par les figures d'un bestiaire, en l'occurrence un chat agresseur et un oiseau martyr. Picasso avait confié à Brassaï pendant l'Occupation: «J'adore les chats devenus sauvages aux poils hérissés... Ils chassent les oiseaux, vadrouillent, courent dans les rues comme des démons... Ils vous jettent des yeux farouches, prêts à vous sauter à la figure... Et avez-vous remarqué que les chattes en liberté sont toujours en état de grossesse?»

La description du félin est fidèle à la représentation que Picasso en a donnée quelque temps auparavant, jusqu'à son apparente grossesse. La facture du tableau en aplat et contours est radicale, avec une base et un fond destinés à mettre en valeur l'affrontement. Au contraste cruel du rouge et du noir de l'oiseau blessé répond celui, hypnotique, du noir et du blanc des yeux du chat, portés sur sa face comme le masque ambivalent du sorcier vaudou, en harmonie chromatique avec des griffes irradiantes. En ce printemps 1939, alors que l'Espagne est franquiste depuis le per avril et que l'Allemagne nazie fourbit dangereusement ses armes, bourreaux et victimes ont pris position dans toute l'Europe.