Le plus grand, le plus extraordinaire, pour ne pas dire extravagant des grands hôtels parisiens du XVIIème siècle.
L'histoire de l'hôtel Salé
L’hôtel Salé est probablement, comme l’écrit Bruno Foucart en 1985, « le plus grand, le plus extraordinaire, pour ne pas dire extravagant des grands hôtels parisiens du XVIIème siècle.» Il a connu plusieurs occupants, et c’est même là un trait caractéristique de ce lieu, qui, paradoxalement, a été jusqu’à son affectation en tant que musée, peu « habité », mais loué à différents particuliers, hôtes de prestige et institutions.
Pierre Aubert de Fontenay
L’hôtel Salé fut construit par Pierre Aubert de Fontenay, parallèlement à une autre fameuse construction ambitieuse, celle du Château de Vaux-le-Vicomte par Nicolas Fouquet. Pierre Aubert est un protégé de Fouquet. Parvenu à faire fortune dans les années 1630-1640, il est désormais un financier important de la place parisienne, conseiller et secrétaire du roi. La ferme des gabelles – Pierre Aubert de Fontenay perçoit au nom du roi l’impôt sur le sel contre une somme forfaitaire – achève de consolider sa position. Cette charge donnera son nom d’usage à l’hôtel surnommé rapidement « l’Hôtel Salé ».
Le futur propriétaire de l’hôtel Salé est donc un « Bourgeois gentilhomme » cherchant à faire valoir sa récente ascension sociale. Il choisit pour cela un quartier qui n’est pas encore saturé par le bâti, et dont Henri IV a voulu encourager la construction notamment en construisant la Place Royale (actuelle Place des Vosges). Cette extension urbaine de l’ancien Marais borde l’Hôpital Saint-Gervais et ses « cultures », devenues « coutures », tenus par les religieuses de Saint-Anastase. C’est à ces dernières que Pierre Aubert, seigneur de Fontenay, achète le 16 mai 1656 pour 40 000 livres, un terrain de 3 700 m2 situé au nord de la rue de la Perle. Il choisit comme architecte un jeune inconnu nommé Jean Boullier de Bourges (ou Jean de Boullier). Celui-ci appartient à une famille de maçons du quartier et son grand-père a déjà servi la belle-famille de Pierre Aubert de Fontenay, les Chastelain. Trois ans plus tard, dans les derniers jours de 1659, les travaux s’achèvent et Pierre Aubert peut s’installer dans son nouvel hôtel. Le décor sculpté, dont celui, fastueux, de l’escalier d’honneur, a été confié aux frères Gaspard et Balthazar Marsy et à Martin Desjardins.
Architecture mazarine
L’hôtel Salé est un exemple typique de l’architecture mazarine, marquée par un profond renouvellement des formes architecturales, sous l’impulsion de nouveaux commanditaires à l’image de Pierre Aubert – ou de Nicolas Lambert qui quelques années plus tôt a commandé son hôtel à Louis Le Vau. Le baroque italien, introduit par le cardinal Mazarin, est en vogue et entraîne les architectes à imaginer de nouveaux volumes, qu’ils combinent avec l’héritage de François Mansart. Ainsi, l’Hôtel Salé comporte un corps de logis double et une double enfilade de pièces, innovation qui permet l’expansion de la surface. Son plan est dissymétrique : la façade sur cour est partagée en deux par une aile perpendiculaire qui sépare la cour d’honneur de la basse-cour. La cour elle-même traduit les innovations du temps : elle s’inscrit dans une courbe tendue qui dynamise la façade. Cette dernière est rythmée de sept travées d’ouverture qui mettent en valeur l’avant-corps central sur trois niveaux.
Le fronton du petit avant-corps, classique, se réfère à Mansart ; au-dessus de lui, l’immense fronton au motif armorié garni d’acanthes, de fruits et de fleurs, regarde vers le baroque. L’abondance du décor sculpté (Sphinges et Amours) signe également le caractère globalement baroque de la façade. Celle sur jardin est plus sobre.
Enfin, le grand escalier est le chef d’œuvre de la maison. Il reprend le système de l’escalier de Michel-Ange à la Bibliothèque Laurentienne de Florence. Pas de cage fermée, mais deux volées de marches, impériales, surplombées d’un balcon en saillie puis d’une galerie. Multipliant les effets de perspective, les vues plongeantes, l’escalier est une salle de spectacle. Quant au décor sculpté en stuc, on a pu le décrire comme « une sorte de traduction plastique des peintures d’Hannibal Carrache à la Galerie Farnèse » (Jean-Pierre Babelon) : aigles tenant le foudre, génies aux guirlandes, pilastres corinthiens, divinités diverses font tourbillonner le regard.
En 1660, Pierre Aubert de Fontenay se porte acquéreur de diverses constructions qui gênent l’accès à la rue Vieille-du-Temple par les jardins. Parmi celles-ci, on trouve un jeu de paume qui abrite le Théâtre du Marais de 1634 à 1673, et où Corneille crée ses premières pièces, Pierre Aubert ayant maintenu le bail des comédiens qui y exercent leur art.
Après Pierre Aubert
Pierre Aubert ne passera pas longtemps dans cette splendeur : il chute avec Fouquet en 1663 ! Après sa ruine, ce fastueux hôtel fait l’objet de la convoitise de nombreux créanciers. La procédure en justice dure soixante ans. L’hôtel est pendant ce temps loué à la République de Venise pour y tenir son ambassade, puis il est vendu en 1728. En 1790, en tant que « bien d’émigré », il est mis sous séquestre et sert pendant la Révolution de « dépôt national littéraire », permettant de stocker et d’inventorier les livres découverts dans les couvents du quartier. Il est à nouveau vendu en 1797 et reste dans la même famille jusqu’en 1962. Pendant cette période, il est loué à diverses institutions : la pension Ganser et Beuzelin, fréquentée par Balzac, l’École centrale des arts et manufactures (1829-1884), qui modifie considérablement l’agencement intérieur du bâtiment, puis un maître bronzier et ferronnier d’art, Henri Vian, auquel succède un consortium ayant la même activité (jusqu’en 1941), et enfin à partir de 1944, l’École des métiers d’art de la Ville de Paris. La Ville achète l’hôtel en 1962, qui est classé Monument Historique le 29 octobre 1968. Rien ne reste alors de ses aménagements d’origine. De 1974 à 1979, l’hôtel est restauré et retrouve la plupart de ses volumes initiaux, avant le réaménagement opéré par l’architecte Roland Simounet.