Chefs d'oeuvre

Entre mai et août 1906, Picasso séjourne à Gósol, petit village de Haute-Catalogne, accessible uniquement à dos de mulet. Il s'opère alors une rencontre singulière entre son œuvre et le paysage grandiose de cette région sans âge, préservée de la modernité industrielle.

Les œuvres produites pendant ce séjour se situent à la charnière de deux mondes et marquent une transition sans retour. Cette gouache délicate est encore empreinte de la mélancolie ocre des grandes errances circassiennes, dont subsiste ici le motif tronqué du tambour, vestige symbolique de l'époque des acrobates. D'un point de vue stylistique, elle est aussi pleinement représentative du nouveau style classicisant qui se fait jour dans l'œuvre du peintre. Ce classicisme naissant est le fruit d'une inspiration multiple; celle de Jean Auguste Dominique Ingres tout d'abord, dont Picasso a pu admirer le « Bain Turc » (1862, musée du Louvre, Paris) au Salon d'automne de 1905, et qui transparaît ici dans le contour linéaire des sveltes silhouettes se détachant sur un fond presque uni. À travers le choix du sujet, c'est aussi une inspiration plus lointaine, bien que tout aussi prégnante, quise manifeste: la Méditerranée éternelle, peuplée de jeunes éphèbes. Enfin, le traitement sculptural des corps, la stylisation du torse et des jambes dont les volumes sont obtenus par une nuance de teintes claires, renvoient à la tradition de la statuaire archaïque grecque des kouroi.