Salle 2.3 Écouter Picasso / Listen to Picasso

L'art et la vie, Hommage à Picasso

Diffusion 02/11/1961
Auteurs : Georges Charensol et Jean Dalevèze
© Ina 1961 © Succession Picasso, 2021

Journaliste : Maître, « l’art et la vie » vous souhaite un très bon anniversaire.

Master, “L’Art et la Vie” wishes you a very happy birthday.

Picasso: Merci beaucoup, merci.

Thank you very much.

Journaliste : Nous avons déjà eu l’occasion de consacrer une émission entière à votre œuvre, lorsqu’il y a eu votre grande rétrospective au Musée des Arts Décoratifs. L’exposition ici est moins importante, mais peut-être est-elle encore plus chère à votre cœur ?

We already had an opportunity to devote an entire program to your work when you had a major retrospective at the Musée des Arts Décoratifs. This exhibition is smaller but perhaps even closer to your heart?

Picasso : Oui parce que ce sont des choses qui se sont éloignées pendant longtemps de moi et qu’aujourd’hui je retrouve avec une bonne mine (rires). C’est vrai, elles n’ont pas vieilli beaucoup, n’est-ce pas ?

Yes, because these things have been far from me for a long time and today I find them again, looking good. It’s true: they haven't really aged, have they?

Journaliste : Toutes les toiles sont comme vous, Maître, aussi jeunes ?

Are all the paintings as young as you are?

Picasso : Peut-être qu’on s’imite tous les deux !

Maybe we’re imitating each other!

Journaliste : Est-ce que vous pourriez, parmi ce rassemblement d’une cinquantaine de toiles, me dire celles auxquelles vous tenez peut-être plus particulièrement.

Out of this collection of roughly fifty paintings, could you tell me which ones are especially important for you?

Picasso : Non je ne peux pas dire… C’est comme une mère à qui vous demandez quel petit enfant est mieux que l’autre. On se rappelle des douleurs, de la coqueluche et du jour où l’un dit un mot gentil à la grand-mère… Enfin, ce sont vraiment des affaires de famille.

No, I can’t do that. It’s like asking a mother to choose between her children. We remember the pains, the whooping cough, and the day this one said a kind word to his grandma… In a few words, it’s really like family matters.

Journaliste : Ce sont des toiles que vous n’aviez pas revues depuis que vous les aviez faites quasiment.

These are paintings that you haven't really seen since you made them.

Picasso : Ah oui ! Depuis longtemps. Longtemps. Il y en a, cela fait… je ne sais pas, 25 ans, 30 et peut-être plus.

Indeed! It’s been a very, very long time: 25 or 30 years, even more for some of them.

Journaliste : 37 ans, je crois. Et en ce moment Maître, est-ce que vous travaillez toujours autant ?

37 years, I believe. And are you still working as much these days?

Picasso : Je travaille autant que je peux. Aujourd’hui non, à cause de toutes ces fêtes, mais j’espère m’y remettre demain.

I work as much as I can. Today of course I didn't work, because I went to all these parties, but I hope to get back to it tomorrow.

Journaliste : Est-ce que je peux vous demander quelle est la forme d’art que vous pratiquez le plus en ce moment. La peinture ? La gravure ? Le dessin ? La céramique ?

May I ask you what art form you practice the most at the moment? Painting? Engraving? Drawing ? Ceramics?

Picasso : Eh bien, je vous dirai que maintenant je me suis remis à une chose que j’avais essayée dans le temps : des feuilles de tôle que je plie… je commence d’abord par des feuilles de papier, que je plie, replie, recoupe et replie. Et qui, une fois faites en papier, comme c’est fragile et que ça se déforme au moindre contact des autres, je le fais en tôle un peu plus solide et je retourne encore, je le fais dans une tôle encore plus solide et ça fait des choses que je garde comme ça.

Well I have now gone back to something that I tried a few times before: folding sheets of tin. First I fold sheets of paper, and I fold, I fold them again, I cut and fold. This model made out of paper is fragile and warps whenever it’s touched. So I reproduce it with a little more solid sheet of metal, and another time after that with an even stronger sheet of metal, and I end up with things that I keep like that.

Journaliste : Une chaise, je crois

A chair, I believe.

Picasso : Oui une chaise... une chaise même.

Yes, a proper chair.

Journaliste : J’ai entendu parler de ça.

I’ve heard about that.

Picasso : Oui, oui… Une chaise exactement. Enfin, c’est du laboratoire, des choses de laboratoire, n’est-ce pas ? Mais parfois les gens sont si gentils qu’ils les prennent pour... Pour je ne sais pas quoi d’ailleurs.

Yes, it is a proper chair. Well let’s say these are subjects of research, as if I was in a laboratory. But sometimes people are so kind that they take them to… actually I don’t know what they take them for.

Journaliste : Mais lorsque vous pratiquez plus volontiers une forme d’art comme celle-ci, est-ce que néanmoins vous continuez aussi à côté, parallèlement à faire de la peinture ou de la gravure ?

When you practice such an art form, do you still paint or engrave?

Picasso : Ah mais oui ! D’ailleurs, tout ça, c’est la même chose ! C’est exactement la même chose, n’est-ce pas ? Je mets cette histoire que je vous dis en tôle pour la peinture et je me sers de la peinture pour m’éclairer dans des pliages…

Of course I do! And actually all of this is exactly the same thing, isn’t it? I use the foldings I just talked about to help with my painting, and I use my painting to help with my foldings...

Journaliste : Et l’illustration, Maître ?

And what about illustration?

Picasso : L’illustration ? En réalité, je n’ai jamais rien illustré. Ce sont des choses de moi qu’on a ajoutées à un texte auquel elles ressemblaient plus ou moins.

Well I have never illustrated anything, really. People decided to add some of my work to a text because it matched.

Journaliste : Oui parce qu’il y a tout de même les fameuses Éditions de Vollard !

Yes, like the famous Vollard Editions!

Picasso : Oui et bien, c’est (Ambroise) Vollard qui avait des gravures de moi. Et qui alors a cherché (Blaise) Cendrars qui lui a dit : « Pourquoi ne le mettez-vous pas sur Le chef d’œuvre inconnu de Balzac ? Eh bien voilà. Mais ce n’est pas une véritable illustration.
Well (Ambroise) Vollard had some of my engravings and consulted (Blaise) Cendrars who said “Why don’t you use them to illustrate Le chef d’œuvre inconnu by Balzac?”, and that’s how it happened. But really this isn’t proper illustration.

Journaliste : Enfin Maître, je voudrais tout de même vous poser une question puisque nous sommes à Vallauris, et que c’est Vallauris qui vous fête. Est-ce que pour vous la céramique et la sculpture sont deux choses très différentes ou est-ce que vous les travaillez de la même façon ?

Finally, I would like to ask you a question since we are in Vallauris and since Vallauris celebrates you. Do you think that ceramics and sculpture are two very different things or is it really a similar kind of work?

Picasso : C’est très proche n’est-ce pas ? N’est-ce pas ? Naturellement il y a la matière, des émaux coulants qui s’appliquent à des formes. Et ces formes sont colorées de peinture et refont un objet différent.

It’s very similar. But of course the materials are different: there is the enamel applied to different coloured shapes, and then I add paint and it makes a different object...

Journaliste : Maître, maintenant que vous pouvez vous retourner sur votre vie, voir l’œuvre extraordinaire et énorme que vous avez accomplie, est-ce que vous avez la même impression que nous ? Nous ressentons que vous avez apporté́ quelque chose de très neuf dans l’Art contemporain ?

Now, looking back over your life, at the extraordinary and enormous amount you’ve accomplished, do you share the feeling that you brought something very new to contemporary art?

Picasso : Je pense. Parce que des fois, rien qu’en allant dans la rue ou en regardant n’importe quoi, je vois tout de même une petite influence au moins. L’autre jour, je suis passé devant l’aérodrome de Nice, eh bien tout de même, il n’aurait pas été comme ça en 1900 ! On aurait vu des colonnes doriques avec des chapiteaux d’un autre style, et ça aurait été un monument bien plus fort que l’Opéra.

I think so because sometimes, just walking down a street, looking at whatever, I see a small influence. The other day I went past Nice aerodrome and, well, it wouldn't have looked like that back in 1900 ! You’d have had doric columns with capitals in a totally different style, it would have been a great deal stronger than the opera house.

Journaliste : Maître, beaucoup de gens, arrivés à votre âge, quand ils se tournent sur leur vie se disent « Mon Dieu, ça n’est que cela. Eh bien, vous, vous pouvez dire : c’est tout cela ! »

Many people of your age look back on their life and ask: my God, was that it? Well, you can say, "It is all of this!”

Picasso : Merci.

Thank you

Picasso, l'œil du minotaure

Archives : Silence radio : à la recherche de la voix perdue de Picasso
Diffusion 23/07/2012 sur France Culture
Auteur : Matthieu Garrigou-Lagrange
© Ina © Succession Picasso, 2021

Lucien Clergue : Là-dessus, j’écoute la seconde face. Alors la seconde face, c’est quelque chose… Vraiment, je ne peux pas vous le décrire. Parce qu’il parle une langue inconnue. Alors, le type, votre confrère, prédécesseur, lui pose une question et il répond « langue inconnue », un truc … Alors, je crois que c’est Cocteau qui démarre et puis après Picasso renchérit, puis on questionne Madame Weisweiller qui abonde dans leur sens, dans la même langue… Enfin, c’est d’un comique achevé, parce que je ne sais pas s’il existe un disque dans ce genre de personnages aussi illustres, mais ça me rappelait toutefois, dans Le testament d’Orphée de Cocteau, le dernier film qu’il ait réalisé en 1959. Dans ce film, il utilise parfois le « parlé à l’envers », c’est à dire, le magnétophone tourne à l’envers. Et donc c’est en effet incompréhensible. Et là, on retrouve un peu cet esprit-là. Mais on a l’impression de gosses du collège, qui s’amusent comme des fous, dans la cour du collège.

Then I listened to the second side. And this second side is something that I can't really describe to you, because he speaks an unknown language. The journalist asks him a question, and he answers "unknown language" something... I believe this is Cocteau who begins to speak, and then Picasso carries on, then there is a question to Mrs Weisweiller who agrees with them in the same language… It's a real moment of pure comedy, and I don't know if there is another similar recording of such famous people. However it reminded me of “Testament of Orpheus”, the last film that Cocteau directed in 1959. In this film, he sometimes uses the " backwards speach" effect: the tape recorder is played backwards, making it indeed incomprehensible. This is the same intent that we have here. But it sounds like middle school kids having fun in the school yard.

Jean Cocteau : (Parle une langue inconnue)

(Speaks an unknown language)

Journaliste : Je vous remercie Monsieur Cocteau, ce sont là des déclarations passionnantes. Je vais demander à Monsieur Picasso qui pratique cette langue couramment de bien vouloir traduire pour nos auditeurs ce que vous venez de dire.

Thank you, Mr. Cocteau, these are fascinating statements. I am going to ask Mr. Picasso, who speaks this language fluently, to translate what you have just said for our listeners.

Pablo Picasso : (Parle une langue inconnue)

(Speaks an unknown language)

Journaliste : Je comprends parfaitement...

I understand perfectly.

Pablo Picasso : (Parle une langue inconnue)

(Speaks an unknown language)

Journaliste : Ah oui oui oui, non ça non

Ah yes, yes. Of course not.

Pablo Picasso : (Parle une langue inconnue)

(Speaks an unknown language)

Journaliste : Vous remarquez l’accent purement castillan de Monsieur Picasso, qui est actuellement, évidemment, phonétiquement parlant, l’un des maîtres du phonogramme. Donc, Jacqueline … oui ? Vous voulez dire ?

You notice the purely Castilian accent of Mr. Picasso, who is currently, obviously, phonetically speaking, one of the masters of the phonograph. So, Jacqueline… yes? What do you want to say?

Pablo Picasso : (Parle une langue inconnue)

(Speaks an unknown language)

Journaliste : Ah bon, ah bon.

Ah alright, alright.

Francine Weisweiller: (Parle une langue inconnue)

(Speaks an unknown language)

Journaliste : Vous êtes de cet avis ?

Do you agree?

Pablo Picasso : (Parle une langue inconnue)

(Speaks an unknown language)