L’ARTISTE, SON TRAVAIL, SON APPROCHE DE LA LUMIÈRE
Vous posez la lumière, la projetez, la sculptez… pourquoi vous êtes-vous tourné vers ce travail de la lumière ?
La lumière en tant que telle est extraordinaire. C’est une matière qui est invisible : on ne la voit pas, pourtant c’est à travers la lumière que l’on voit le monde […] Dans les années 1970, comme beaucoup d’artistes, je me suis posé des questions sur le sens de l’œuvre d’art et sur la présence de quelque chose qui est concrètement absent. Nous cherchions à donner une forme à cette présence de quelque chose d’indicible mais néanmoins esthétiquement perceptible qui est à l’œuvre dans l’œuvre, c’est à ce moment-là alors, […] que la lumière m’est apparue comme étant le moyen le plus juste pour donner forme à cette présence.
Votre œuvre « Lux Umbrae » évoque-t-elle elle aussi ce rapport à la lumière, au visible et à l’invisible ?
« Lux Umbrae » signifie littéralement la lumière de l’ombre. C’est le nom que j’ai donné à ces interventions de lumières que j’opère dans des espaces architecturaux. Avec ces interventions de lumière, j’ouvre des espaces à l’intérieur d’éléments qui me semblent sous-entendus, annoncés, dont la présence n’est pas clairement visible. À la suite de l’exploration de ces espaces, j’entreprends de mettre en place des formes qui glissent du visible à l’invisible, de l’ombre à la lumière, du sensible au compréhensible, essayant à chaque fois de considérer leur passage comme un fait concret.
LE RAPPORT À PICASSO
Quel regard portez-vous sur l’œuvre de Picasso ?
Picasso fait partie de ces grands maîtres du XXème siècle qui ont ouvert la voie et ont permis de voir et comprendre la réalité en dehors des carcans dans lesquels différents types de pouvoir nous avaient enfermés pendant des siècles. Tout comme Cézanne, Malevitch, Mondrian, Duchamp, Brancusi et d’autres, Picasso nous a donné cette liberté de percevoir la réalité. Bien que je sois assez loin de sa pratique, je reste très impressionné par la puissance et la force avec laquelle il affirme ses gestes et apprivoise notre regard. S’il aime tant la corrida c’est parce que lui-même comme le toréador, quand il fait face à la réalité du combat, il danse. Quand il peint ou il sculpte, il le fait, à mes yeux, avec l’élégance de la passe du grand toréador. Quand il peint ou il sculpte, il a toujours dans ses mains une muleta. Les musées mêmes les plus beaux restent toujours des lieux ou on renferme, on conserve, on protège. L’œuvre d’un artiste y sera toujours à l’étroit surtout quand cet artiste s’appelle Picasso. Mes interventions au Musée Picasso sont une tentative d’ouvrir ces lieux vers des espaces mentaux qui pourraient laisser entrevoir la largesse du geste picassien. J’ai voulu ouvrir ces espaces pour que le geste soit vu de manière différente.
Avez-vous une œuvre favorite de Picasso ?
À chaque fois que nous sommes face à un grand maître, nous sommes face à quelque chose de nouveau. C’est donc difficile d’exprimer une préférence. Tout de même, dans une salle du 2ème étage lors de l’installation de projection de lumière, j’ai été surpris par la présence d’un tableau très puissant avec deux jeunes hommes, « La Flûte de Pan ». On y perçoit le vrai sculpteur qu’était Picasso, on y voit la présence massive qu’est le propre de son art. Cette présence a changé la manière et l’approche avec laquelle j’ai posé ces ouvertures au plafond.