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Guerre d'Espagne et Occupation
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Guerre d'Espagne et Occupation

Guerre d'Espagne et Occupation

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Picasso - Etude pour "L'Aubade" : femme nue étendue les bras derrière la tête - MP1278recto - 05-512057
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Pablo Picasson, « Etude pour "L'Aubade" : femme nue étendue les bras derrière la tête », 12 Décembre 1941, Dessin au crayon de couleur, mine de plomb, pastel, 27 x 35 cm, MP1278recto, Musée national Picasso-Paris

« La peinture n’est pas faite pour décorer les appartements. C’est un instrument de guerre offensive et défensive contre l’ennemi.»

Pablo Picasso

Depuis la France, Picasso subit les guerres successives qui touchent l’Europe. Son célèbre tableau Guernica devient le symbole des bombardements pendant la guerre d’Espagne et une condamnation de l’oppression dictatoriale de Franco. S’ensuit une période sombre avec l’Occupation du territoire français par les Allemands. Picasso est alors installé dans son atelier, rue des Grands Augustins, à Paris. Comment Picasso vit la guerre d’Espagne depuis Paris ? Que fait Picasso pendant l’Occupation en France ? Ses œuvres sont-elles influencées par le contexte des guerres en Europe ?

1936, la Guerre d’Espagne

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Picasso - La dépouille du Minotaure en costume d'arlequin - MP1166 - 16-560466
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Pablo Picasso, « La dépouille du Minotaure en costume d'arlequin », Rideau de scène « 14 juillet » de Romain Rolland, 28 Mai 1936, Encre de Chine, gouache, 44 x 54 cm, MP1166, Musée national Picasso-Paris

Le 18 juillet 1936 marque l’échec du pronunciamento en Espagne. Le général Franco déclenche la guerre civile opposant les nationalistes (aux côtés de Franco) aux républicains (initialement au pouvoir). En France, depuis les élections électorales du 3 mai, c’est le Front populaire qui est en place au gouvernement. En mai 1936, l’Exposition surréaliste d’objets, organisée par André Breton à la Galerie Charles Ratton, présente six œuvres de Picasso. Un numéro spécial des « Cahiers d’art » est alors publié portant sur la thématique de « l’objet ». A Londres, en juin-juillet, c’est la Seconde exposition internationale du surréalisme, organisée par Roland Penrose et le groupe surréaliste : onze œuvres de Picasso y sont exposées. Ce dernier connaît un franc succès, présenté parmi ce mouvement artistique influent, dont il ne s’est jamais revendiqué. L’artiste participe également à la manifestation artistique, dirigée par Louis Aragon, intitulée 14 juillet, au Théâtre de l’Alhambra, à Paris. Il réalise pour l’occasion un rideau de scène pour l’un des actes de cette pièce de Romain Rolland, inspiré directement de l’une de ses gouaches, conservée au musée.

La relation avec Dora Maar (1907-1997)

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Anonyme - Portrait de Dora Maar de trois-quarts, Paris, en [1935] - MP1998-147 - 17-554050
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Anonyme, « Portrait de Dora Maar de trois-quarts », Paris, 1935, 18 x 12 cm, MP1998-147, Musée national Picasso-Paris

Picasso et Dora Maar se rencontrent en 1935. Avant même de se côtoyer, ils ont déjà beaucoup d’amis en communs, notamment André Breton. En effet, Dora Maar est une artiste de son époque qui prend part aux manifestations surréalistes, et partage avec le groupe les mêmes idées politiques. Elle fait partie des photographes récurrents présentés pendant les expositions organisées par le mouvement. En 1934, elle ouvre son propre studio photographique rue d’Astorg, à Paris, où elle effectue des travaux de commandes.
Un jour d’automne, Paul Eluard et Picasso sont attablés dans le café parisien des Deux Magots, à Saint-Germain-des-Prés, et le poète l’introduit auprès de Dora Maar, assise à la table d’à côté. L’anecdote veut qu’elle fût à ce moment-là en train de jouer dangereusement avec sa main gantée et un couteau, ce qui aurait apparemment fasciné Picasso.
L’été suivant, Picasso la retrouve sur la Côte d’Azur et demeure en sa compagnie à Mougins. Il peint la série des Arlésiennes, et réalise quelques pièces de céramiques suite à la découverte du village de potiers de Vallauris.

Dora Maar devient l’un des modèles de Picasso. Mais elle est aussi artiste et tisse un lien spécifique qui la rapproche de Picasso, et qui lui ouvre les portes de son atelier. Elle photographiera ainsi, en 1937, les différentes étapes de la réalisation de « Guernica », ce qui permettra au peintre d’avoir une vue d’ensemble de son travail. Il exécute, avec son aide, une série d’une vingtaine de photogrammes d’après des clichés-verre : « Portrait de Dora Maar, de profil, de face, de trois-quarts, à la mantille ». Cette technique consiste alors à dissocier un des 24 instantanés à la seconde d’une pellicule, pour ensuite le graver sur une surface transparente, tel que le verre.

En 1943, Picasso fait la rencontre de Françoise Gilot, une jeune peintre de vingt-deux ans. La relation entre Dora et le peintre se défait. Ils continueront néanmoins à se voir jusqu’en 1946.

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Dora Maar et Pablo Picasso - Portrait de Dora Maar, de trois-quarts, 1er état - MP1998-317 - 16-538473
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Dora Maar et Pablo Picasso, « Portrait de Dora Maar, de trois-quarts », 1er état, 1936-1937, Epreuve gélatino-argentique, 29 x 23 cm, MP1998-317, Musée national Picasso-Paris
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Picasso - Portrait de Dora Maar, de profil - MP1998-322 - 17-554070
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Pablo Picasso, « Portrait de Dora Maar, de profil », 1936-1937, Cliché-verre, 30 x 24 cm, MP1998-322, Musée national Picasso-Paris
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Picasso - Dora Maar assise - MP1201 - 86-001927
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Pablo Picasso, « Dora Maar assise », 2 février 1938, Carton, encre de Chine, mine de plomb, pastel, 27 x 21 cm, MP1201, Musée national Picasso-Paris

Guernica

Picasso emménage dans son nouvel atelier parisien, situé rue des Grands-Augustins, dans le 6ème arrondissement. C’est dans cet atelier qu’il peint en 1937, l’une de ses plus fameuses toiles: « Guernica ». Suite à une commande pour le pavillon espagnol de l’Exposition internationale des arts et des techniques, qui a lieu à Paris, Picasso doit exécuter un tableau. Souhaitant au départ représenter un peintre dans son atelier, comme en témoignent certaines études préparatoires, Picasso est bouleversé par un évènement le 26 avril 1937.
En effet, ce jour-là a lieu le bombardement de Guernica, petite ville basque située en Espagne. L’aviation nazie provoque plus de quatre mille morts en quelques heures. Le journal Ce soir, dirigé par Aragon, ainsi que l’Humanité, publient, suite à ce drame, des clichés de la ville dévastée et des victimes.
Picasso, choqué par le drame qui touche ses compatriotes, redirige alors ses études vers la représentation de ce qui vient de se passer à Guernica. Le tableau est conservé au musée Reina Sofia à Madrid, mais le Musée national Picasso-Paris possède des photos de Dora Maar, prises pendant sa réalisation en atelier. On peut y voir les différents états d’évolution de la toile. Bien qu’étant fiché comme anarchiste dans les registres français depuis le début du siècle, ce n’est qu’au moment de la guerre d’Espagne que Picasso s’engage réellement dans une cause politique. En plus de sa déclaration esthétique (à travers « Guernica »), il entame des projets d’expositions militantes et s’investit auprès des exilés espagnols, réfugiés en France suite à la guerre civile.
L’inauguration du pavillon espagnol a lieu le 12 juillet 1937. Outre « Guernica », deux sculptures de Picasso sont exposées : « Tête de femme » de 1931 (conservée au Musée national Picasso-Paris) et « La Femme au vase » de 1933 (conservée à Madrid, au Reina Sofia), ainsi que des pièces d’autres artistes espagnols tels que Miró.

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Dora Maar - Huile sur toile "Guernica" en cours d'exécution, état I - APPH1376 - 17-630061
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Dora Maar, « Huile sur toile "Guernica" en cours d'exécution, état I, atelier des Grands-Augustins », Paris, Mai 1937, 24 x 30 cm, APPH1376, Musée national Picasso-Paris
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Dora Maar - Huile sur toile "Guernica" en cours d'exécution, état V - MP1998-277 - 16-537952
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Dora Maar, « Huile sur toile "Guernica" en cours d'exécution, état V, dans l'atelier des Grands-Augustins, Paris », en mai-juin 1937, 20 x 30 cm, MP1998-277, Musée national Picasso-Paris
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Dora Maar - Picasso peignant "Guernica" - MPPH1391 - 95-014372
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Dora Maar, « Picasso peignant "Guernica"», 1937, MPPH1391, Musée national Picasso-Paris
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Picasso - Tête de Femme - MP301 - 15-624262
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Pablo Picasso, « Tête de Femme », 1931, bois, plâtre, plâtre original, 128 x 54 x 62 cm, MP301, Musée national Picasso-Paris

La femme qui pleure

Ces drames meurtriers liés à la guerre d’Espagne ébranlent Picasso. Il les fait notamment ressurgir dans son travail par le biais de la figure de la « pleureuse ». Ces veuves noires, récurrentes dans l’œuvre de Picasso, comme « La femme qui pleure » ou « La Suppliante », font également référence aux bombardements de Lérida (qui ont lieu successivement en 1937 et 1938), dont il se procure les clichés d’Agustí Centelles, un photographe journaliste espagnol.

Suite à la réalisation de « Guernica », Picasso refuse que la toile aille en Espagne, tant que « les libertés publiques [n'y seraient pas] rétablies », comme il le précise à son avocat Roland Dumas 1. De sa création en 1937 à 1943, « Guernica » est présentée en Europe, puis aux États-Unis (New York, Los Angeles, Chicago et San Francisco). Elle reste alors au MoMA (New York) pendant plus de quarante ans. Elle revient en Espagne en 1981, après la mort de Franco et la stabilisation politique du pays. L'œuvre monumentale est aujourd'hui exposée au Reina Sofia, à Madrid et, pour des raisons de conservation, n'est plus déplacée.

1 Lettre de Picasso à Roland Dumas, 14 novembre 1970

 

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Picasso - La Femme qui pleure - MP165 - 97-026925
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Pablo Picasso, « La Femme qui pleure », 18 Octobre 1937, Huile sur toile, 55 x 46 cm, MP165, Musée national Picasso-Paris
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Picasso - La Suppliante - MP168 - 16-524564
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Pablo Picasso, « La Suppliante », 18 Décembre 1937, Gouache , peinture sur bois 24 x 18 cm, MP168, Musée national Picasso-Paris

Picasso sous l’Occupation

L’année 1939 commence difficilement pour Picasso, le 13 janvier marque le décès de sa mère, à Barcelone. Quelques jours plus tard, la ville tombe sous les coups des Franquistes. En parallèle, depuis 1933, le régime d’Hitler s’est implanté dans une grande partie de l’Europe de l’Est. L’exposition sur l’Art dégénéré, organisée par les nazis, présente quatre œuvres de Picasso à Munich. Cette exposition a débuté le 19 juillet 1937, et circule depuis dans toutes les grandes villes d’Allemagne et d’Autriche durant quatre ans. Plus de 3 millions de visiteurs la fréquentent. Le but est de montrer au public un art réalisé par des artistes stigmatisés comme  « malades » et en marge « d’une race supérieure », prônée par Hitler. Abattu par tous ces évènements, Picasso part prendre l’air marin à Royan, où il reste jusqu’en 1940. Il suit de loin les prémices du deuxième grand conflit mondial : entre le 1er et le 3 septembre, l’Allemagne envahit la Pologne. La France et la Grande Bretagne entrent en guerre. Picasso rentre à Paris la même année. Sa demande de nationalité française lui est refusée à cause de ses fréquentations anarchistes remontant aux années 1900, selon un rapport de police. Il passe alors toute l’Occupation dans son atelier rue des Grands-Augustins.
Dans une interview pour le magazine « Newsweek », Picasso se remémore les visites des nazis dans son atelier. Le lien entretenu avec d'autres artistes résistants éveillaient alors les soupçons de la Gestapo, et Picasso lui-même était considéré comme « dégénéré ». Enfin Maurice de Vlaminck, artiste collaborationniste, publie dans la revue Comœdia, un article intitulé « Opinions libres… sur la peinture », où il attaque violemment Picasso. A la suite de la parution du texte, beaucoup de peintres et d’intellectuels engagés dans la Résistance font part de leur soutien à Picasso. Picasso achève l’une de ses peintures majeures sous l’Occupation : « L’Aubade », exécutée en 1942, et aujourd’hui conservée au Musée national d’art moderne - Centre Georges Pompidou. Il utilise un thème qui lui est familier, celui des modèles féminins. Les formes déstructurées, le corps cadavérique et torturé, la pièce nue emprisonnant les deux femmes, ainsi que la rigidité des rayures du lit semblent évoquer une mort certaine, proche de celle provoquée par les drames liés à la guerre. Le Musée national Picasso-Paris conserve tous les états dessinés.

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Picasso - Etude pour "L'Aubade" : femme nue étendue les bras derrière la tête - MP1278recto - 05-512057
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Pablo Picasson, « Etude pour "L'Aubade" : femme nue étendue les bras derrière la tête », 12 Décembre 1941, Dessin au crayon de couleur, mine de plomb, pastel, 27 x 35 cm, MP1278recto, Musée national Picasso-Paris

1944-1945

En 1943, sa « Tête de mort » traduit la peur et l'angoisse sous-jacentes dans laquelle vit quotidiennement Picasso à Paris. Contrairement à d’autres artistes, Picasso se détache des obligations esthétiques prônées par les Allemands. L’exemple du sculpteur Arno Brecker, protégé d’Hitler et répondant à des commandes pour le régime nazi, s’oppose à celui de Picasso, qui détourne ces codes imposés, avec la sculpture « L’Homme au mouton ». Ici, Picasso fait de son œuvre une métaphore de la liberté, avec de références méditerranéennes et antiques fortes.
 

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Picasso - L'Homme au mouton - MP331 - 17-630761
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Pablo Picasso, « L'Homme au mouton », Mars 1943, Bronze, 222x 78 x 78 cm, MP331, Musée national Picasso-Paris
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Picasso - Tête de mort - MP326 -15-645665
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Pablo Picasso, « Tête de mort », 1943, Bronze, cuivre, sculpture, 25 x 21 x 31 cm, Musée national Picasso-Paris

L'amitié sous l'Occupation

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Brassaï - Groupe dont Picasso et Jean-Paul Sartre lors de la lecture du "Désir attrapé par la queue" dans l'atelier des Grands-Augustins - MP1986-32 - 18-542471
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Brassaï, « Groupe dont Picasso et Jean-Paul Sartre lors de la lecture du "Désir attrapé par la queue" dans l'atelier des Grands-Augustins, le 16 juin 1944 », 29 x 37 cm, MP1986-32, Musée national Picasso-Paris

28 février 1944. Max Jacob est arrêté à Saint-Benoît-sur- Loire et envoyé au camp de concentration de Drancy, où il meurt le 5 mars. Affecté par la perte de cet ami de longue date, Picasso organise en juin 1944 une lecture de sa pièce de théâtre : « Le désir attrapé par la queue » (1942). Sont présents : Jean Aubier, Simone de Beauvoir, Albert Camus, Cécile Éluard, Valentine Hugo, Jacques Lacan, Louise et Michel Leiris, Dora Maar, Pierre Reverdy et Jean-Paul Sartre. Cette lecture semble être un hommage à Max Jacob, une photographie de ce dernier étant posée sur la cheminé. Brassaï immortalise ce moment.

Picasso est directement touché par la guerre, il y perd des amis, et en soutient d’autres, comme le peintre allemand Hans Hartung, qu’il aide à gagner le Maroc. Picasso déclara dans une interview au journal américain « New Masses » : « Ces années d'oppression terrible m'ont démontré que je devais combattre non seulement par mon art, mais par ma personne ». À la Libération, en juin 1944, il adhère officiellement au parti communiste français.

Après la guerre

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Anonyme - Picasso, Paul Eluard, Aimé Césaire, Pierre Daix, Claire Nicolas, Vercors au Congrès des Intellectuels pour la Paix à Wroclaw - APPH6106 - 19-504670
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Anonyme, « Picasso, Paul Eluard, Aimé Césaire, Pierre Daix, Claire Nicolas, Vercors au Congrès des Intellectuels pour la Paix à Wroclaw, en août 1948 », 11 x 18 cm, APPH6106, Musée national Picasso-Paris

En 1945, à la fin de la guerre, les artistes dits « dégénérés », réhabilitent leur statut au Salon d’Automne de la Libération, qui est organisé pour exposer les œuvres interdites sous l’Occupation. Une importante rétrospective est consacrée à Picasso et suscite de violentes réactions et critiques. Son adhésion au parti communiste lui permet d’en côtoyer les membres, et il réalise notamment trois portraits réalistes de Maurice Thorez, un camarade influent du PCF qui en a été le secrétaire général entre 1930 et 1964. C’est aussi lors de ces réunions communistes que Picasso fait la rencontre de Pierre Daix, écrivain et journaliste français. Tous deux deviennent amis intimes en novembre 1945. A la suite de cette rencontre, Daix se passionne pour l’artiste, et produit de nombreux écrits sur sa vie et son œuvre.

Dans son livre le « Nouveau dictionnaire Picasso » 2 , Pierre Daix y raconte un voyage marquant en Pologne, à Wroclaw, pour le congrès du Mouvement de la paix, en 1948. Le but de ce rassemblement pacifiste, réunissant intellectuels et artistes, était de promouvoir la paix au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Daix et Picasso, accompagnés d’Aimé Césaire, mais aussi de Paul Eluard et d’Ilya Ehrenbourg, ont la possibilité de visiter le ghetto de Varsovie ainsi que les camps d’extermination d’Auschwitz et de Birkenau. Picasso, très ému par cette visite funèbre, témoignage direct de l’horreur causée par les nazis, se confie à Daix, lui-même déporté entre 1942 et 1945 : « Tu as eu raison, il fallait venir ici pour comprendre ».3

2 et 3 Nouveau dictionnaire Picasso, de Pierre Daix, Paris, éd. Laffont, 2012