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Pablo Picasso, L'Atelier de la Californie, 1956, Huile sur toile, 114 x 146 cm, Musée national Picasso-Paris
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Pablo Picasso, L'Atelier de la Californie, 1956, Huile sur toile, 114 x 146 cm, Musée national Picasso-Paris

Chefs d'oeuvre

de la collection

L'Atelier de La Californie

1956
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Pablo Picasso, « L'Atelier de la Californie », 1956, Huile sur toile, 114 x 146 cm,  MP211, Musée national Picasso-Paris
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Pablo Picasso, « L'Atelier de la Californie », 1956, Huile sur toile, 114 x 146 cm,  MP211, Musée national Picasso-Paris
Légende
Pablo Picasso, « L'Atelier de la Californie », 1956, Huile sur toile, 114 x 146 cm, MP211, Musée national Picasso-Paris

En 1955, Picasso confirme son attachement à la Côte d’Azur en acquérant La Californie, une majestueuse demeure Belle Époque sur les hauteurs de Cannes. Il y commence une nouvelle vie avec une nouvelle compagne, Jacqueline Roque, après que le départ de Françoise Gilot a clôt la décennie passée à Vallauris, dans la villa La Galloise. À Cannes, Picasso installe son atelier dans les immenses et lumineuses pièces de réception, dont les grandes portes-fenêtres à imposte de style Art Nouveau ouvrent sur un jardin luxuriant. Les prises de vue des trois photographes reçus à La Californie, David Douglas Duncan, Edward Quinn et André Villers, témoignent du désordre ambiant et des amoncellements d’objets hétéroclites qui contribuent à la création picassienne. Ils ne sont pourtant pas restitués dans les trois séries que l’artiste consacre, entre octobre 1955 et novembre 1956, à son nouvel atelier.

C’est au contraire un lieu d’une grande sobriété dans sa composition et dans sa tonalité que Picasso formule en mars 1956, une fois l’espace réel passé au filtre des nécessités de la peinture. Chaque élément résultant de cette opération de décantation pèse un poids considérable au sein de variations que Picasso qualifiait lui-même de « paysages d’intérieur ». Jusque-là l’atelier avait surtout servi d’écrin discret aux relations du peintre et de son modèle. Son espace devient ici le sujet actif d’un hommage déclaré à Henri Matisse, disparu en novembre 1954 et avec lequel Picasso a mené de nombreuses joutes esthétiques. Les réminiscences matissiennes habitent l’arabesque florale de la grande fenêtre aux palmiers, les larmes découpées des boiseries contrastées, la citation orientale du réchaud marocain mais aussi ce noir très présent qui, d’après Matisse, était « aussi lumière que les autres couleurs du tableau ». Picasso est manifestement en deuil de Matisse; il lui voue son atelier, ce laboratoire de création qui leur était génétiquement commun, dans le silence éloquent des objets et des œuvres.

Le thème ancien de la mise en abyme du tableau dans le tableau que Picasso réintroduit au premier plan, rappelle la vocation première de l’atelier: être le lieu où l’artiste vit avant tout la vie de la peinture. Ce motif se trouve renforcé par l’interprétation rendue dans une grande gouache de novembre 1957 « Jacqueline dans l’atelier », 15 décembre 1953, Jacqueline, le modèle actuel de Picasso, est la protagoniste d’un espace où « L’atelier de La Californie » est l’objet de la contemplation sur le chevalet, comme un sujet d’étude.

Loin de toute intention funèbre, c’est dans un continuum créatif que Picasso situe L’atelier de la Californie. Posée à même le sol, la version abrégée de « Jacqueline au costume turc » (fin 1955), rappelle la série éclatante des« Femmes d’Alger » d’après Delacroix dont elle constitue une sorte de post-scriptum; Picasso avait entamé ce cycle juste après le décès de Matisse dans un dialogue renouvelé. Ce récent passé a toutefois cédé sa place sur le chevalet au centre de « L’atelier de La Californie » à l’avenir de la création; une toile blanche, dessinée en réserve du reste de la peinture, déclarant sa totale disponibilité. Quelques temps plus tard, cette offre désirante devait être comblée par le cycle des Ménines d’après Velázquez, sans plus jamais connaître de pause significative jusqu’à la mort de Picasso.