La Méditerranée vivante, celle que Picasso rejoint chaque été, près de laquelle il habite ensuite, en se baignant dans ses eaux régénératrices, pour maintenir sa force solaire et son pouvoir de transmutation.
En septembre 1946, Picasso est invité par le conservateur du Château Grimaldi - Musée d’Antibes, Romuald Dor de la Souchère, à séjourner et à installer son atelier dans l’une des salles du château. Il y peint une vingtaine d’œuvres, évoquant des thèmes méditerranéens, qui forment une partie de la collection du musée, aujourd’hui dédié à Picasso. Cette anecdote symbolique témoigne du lien qu’entretient l’artiste avec la Méditerranée des côtes françaises. Y passant tous ses étés depuis son arrivée en France, il s’installe dans le sud, et s’intéresse à la poterie et la céramique, tout en continuant à peindre, inspiré par le paysage et la culture antique qui l’entourent. Où et avec qui a vécu Picasso sur les bords de la Méditerranée des côtes françaises ? Quels sont ses ateliers dans le sud de la France ?
Vallauris
Au lendemain de la guerre, Picasso a déjà fait plusieurs allers-retours dans le sud de la France et tombe sous le charme d’une petite ville, située entre Antibes et Cannes : Vallauris. Sa première visite remonte à 1946, où, accompagné de Paul Eluard, il y fait la rencontre du couple Suzanne et Georges Ramié, des potiers propriétaires de l’entreprise « Madoura », spécialisés dans la production de céramiques. En 1947, Picasso retrouve le couple, qui a conservé ses figurines modelées un an auparavant. De là, Vallauris et la céramique prennent une place centrale tant dans la production artistique de l’artiste que dans sa vie personnelle. Picasso s’y installe avec sa compagne Françoise Gillot et leur enfants. Picasso emménage dans une villa baptisée « La Galloise ». Il existe peu de documents et de représentations de ce lieu de vie. Le musée possède néanmoins un dessin, datant de 1949. Excentrée du village, la « disgracieuse villa rose » 1 est située sur la colline des Mauruches, qui dominent le village de Vallauris. Elle est exiguë, ce qui pousse Picasso à acquérir, en 1953, une ancienne distillerie, qui devient un de ses ateliers, le Fournas. Il y produit des séries importantes de céramiques. La même année, le réalisateur Luciano Emmer filme Picasso dans l’atelier, où on le voit travailler la terre et la céramique.
Exploration d'autres médiums
En parallèle de son travail de céramiste, Picasso explore d’autres médiums en trois dimensions. En 1950, il réalise une série de grandes sculptures en plâtre dans lesquelles il inclut, pour leur valeur poétique et plastique, des objets hétéroclites qu’il détourne de leur usage ordinaire. Picasso participe activement à la valorisation de la ville de Vallauris et s’investit dans des projets annexes.
En 1952, il décore une chapelle désaffectée, située à proximité de la Place du Marché, où a été installée l’une de ses sculptures, « L’Homme au mouton ».
C‘est aussi dans les années 1950, que Picasso réalise le célèbre tableau « Massacre en Corée » (1951), une grande toile en grisaille, où abondent les références classiques comme les toiles de Francisco de Goya, Edouard Manet et Puvis de Chavannes. Inspiré du massacre de No Gun Ri, soit 400 civils coréens assassinés pendant la Guerre de Corée, ce tableau appartient à la collection du Musée national Picasso-Paris.
Françoise Gilot (1921-)
Picasso fait la rencontre de la jeune peintre Françoise Gilot dans un restaurant parisien en mai 1943. Alors accompagné de Dora Maar, il remarque la jeune femme, assise à une table, accompagnée d’un ami en commun qui les présente. Pendant trois ans, Pablo et Françoise se voient ponctuellement, et ce n’est qu’en 1946 que leur relation s’officialise, quand ils s’installent ensemble. Françoise Gilot a quarante ans de moins que Picasso. Elle devient un modèle pour Picasso, qui la représente souvent sous les traits d’une « femme-fleur ». Ils ont deux enfants, Claude né en 1947 et Paloma née en 1949. La relation avec Françoise Gilot s’achève en 1953.
Jacqueline Roque (1927-1986)
Jacqueline Roque rencontre Pablo Picasso pendant l’été 1952 tandis qu’elle travaille à la galerie Madoura – Jacqueline étant une parente de Suzanne Ramié. Ultime modèle et compagne du peintre, Jacqueline partagea les vingt dernières années de la vie de Picasso, dont elle devient l’épouse en 1961. La figure de Jacqueline est en effet présente dans l’œuvre de Picasso dès l’été 1954 et réapparaît successivement dans les différents ateliers occupés par le couple, depuis La Californie, jusqu’au mas Notre-Dame-de-Vie, en passant par le château de Vauvenargues. Identifiable à ses yeux noirs en amande, une longue chevelure brune et un port altier Jacqueline devient l’archétype du portrait féminin méditerranéen.
La reprise des chefs-d’œuvre
Les années 1950 marquent une grande période de références classiques dans la production de Picasso. Suite à plusieurs allers-retours entre Paris et le sud de la France, l’artiste s’inspire des grandes peintures qui ont marqué l’histoire de l’art. Bon nombre de ses carnets en témoignent, avec des dessins repris directement de tableaux magistraux. Entre 1954 et 1967, il débute plusieurs séries de variations d’après trois peintres iconiques : Eugène Delacroix, Diego Velasquez et Edouard Manet, ainsi que quelques séries plus ponctuelles autour de Jacques-Louis David, Nicolas Poussin ou encore Gustave Courbet.
En 1966, il dessine et peint des figures de Mousquetaires, inspirées des gentilshommes du Siècle d’or espagnol portraiturés par Vélasquez. Ses série de dessins en noir ou en couleurs ainsi que plusieurs séries de gravues à l’eau-frote mettent en scène des caricatures, des dessins érotiques, des moments burlesques, ou commentent graphiquement certains grands tableaux comme celui d’Ingres, Jupiter et Thétis ou encore les autoportraits de Rembrandt.
Parallèlement à cela, il se fait expulser de son atelier de la rue des Grands-Augustins, dont il était locataire depuis le début 1937.
La Californie
En 1955, Pablo Picasso quitte Vallauris pour s’installer à la villa La Californie, située à quelques kilomètres sur les hauteurs de Cannes avec sa compagne Jacqueline Roque. La villa, cachée derrière ses grilles et son jardin exotique, permet à Picasso de s’approprier rapidement les lieux en installant son atelier dans le salon, qui se remplit peu à peu d’œuvres, d’objets divers et de sa collection personnelle. Picasso peint également à l’étage, le balcon supérieur surplombant la baie cannoise et les îles de Lérins pour le plus grand bonheur de l’artiste, qui teinte son tableau « La Baie de Cannes » (1958, MP212) d’un beau bleu marin. À La Californie, espaces de vie et atelier s’entremêlent, au profit de la créativité débordante du peintre : Picasso met en scène les éléments décoratifs de la villa dans ses toiles qu’il qualifie de « paysages intérieurs ». Pour Daniel-Henry Kahnweiler, qui lui rend régulièrement visite dans ces années, « la Méditerranée représentait pour lui sa nouvelle patrie ».
La maison et l’atelier s’entremêlent, laissant s’exprimer la créativité débordante du peintre. Il met en scène les éléments décoratifs l’entourant dans ses toiles, qu’il aime à appeler « paysages intérieurs ». Le lieu devient à lui tout seul un modèle de représentation pour Picasso : il utilise l’espace comme le reflet de l’évolution de ses œuvres. Ainsi, les statues éparpillées dans le jardin traduisent leurs différents stades de mutation.
La maison et l’atelier s’entremêlent, laissant s’exprimer la créativité débordante du peintre. Il met en scène les éléments décoratifs l’entourant dans ses toiles, qu’il aime à appeler « paysages intérieurs ». Le lieu devient à lui tout seul un modèle de représentation pour Picasso : il utilise l’espace comme le reflet de l’évolution de ses œuvres. Ainsi, les statues éparpillées dans le jardin traduisent leurs différents stades de mutation.
Le Mystère Picasso
Après une forte médiatisation, le peintre trouve dans cette maison une accalmie aux antipodes du tumulte de la croisette. Cela n’empêche pas les touristes curieux d’affluer tous les étés aux grilles de la villa. Beaucoup d’amis et de fréquentations passent du temps avec le couple à La Californie. David Douglas Duncan y photographie l’intimité du peintre, mais également Henri-Georges Clouzot qui tourne au studio niçois de la Victorine le film « Le Mystère Picasso », présenté en 1956 au festival de Cannes.
Sculptures en terre chamottée
En 1958, Picasso réalise deux grandes sculptures faites de plaques de terre chamottée 2 rose assemblées. Il commence également une série de sculptures faites d’assemblages de morceaux de bois récupérés.
Le château de Vauvenargues
La même année, Picasso achète le château de Vauvenargues, une construction du XIVe siècle située près d’Aix-en-Provence, au pied de la montagne Sainte-Victoire, lieu emblématique de l’art de Paul Cézanne. Il occupe ce « château-atelier » par intervalles entre 1959 et 1962, tout en conservant La Californie, qu’il quitte définitivement pour une autre demeure à Mougins, en 1965.
Pendant la période dite de Vauvenargues, il commence à pratiquer la linogravure sur des thèmes méditerranéens. Il travaille aussi sur divers matériaux comme des tôles découpées et peintes, réalisant des statues à l’allure légère et aérienne, qui s’ajoutent à la production conséquente entreprise à cette période, et ce, malgré son âge avancé.
Il célèbre d’ailleurs son 80eme anniversaire en 1961, à Vallauris. Au même moment, David Douglas Duncan publie ses photographies sur les Picasso de Picasso, révélant les œuvres de la collection personnelle de l’artiste, qui formeront un des socles de la dation au Musée national Picasso-Paris. L’année suivante, il poursuit son travail sur les Têtes en tôle. Jacqueline reste son modèle principal. Il décline son portrait, en réalisant non moins de soixante-dix œuvres selon différentes techniques : peintures, dessins, carreaux de céramique et notamment gravures.
La Méditerranée du sud de la France reste pour Picasso un lieu de vie mais aussi un lieu de production artistique incroyable. C’est là qu’il se penche sur des techniques de création ancestrales comme la céramique et qu’il revient aux sources de l’histoire de l’art en réinventant certains mythes iconographiques. La Méditerranée n’est pas sans lui rappeler son Espagne natale, entre bain de soleil et corridas. Picasso est inhumé en avril 1973 dans le parc du château de Vauvenargues.