Quelles sont les caractéristiques de ces deux périodes ? Sont-elles fondatrices de la production artistique de Picasso au début du XXe siècle ?
A la découverte de Paris
En octobre 1900, Picasso et son ami Carlos Casagemas, parés de leurs costumes neufs, arrivent à la gare d’Orsay, fraichement inaugurée pour l’Exposition universelle. Picasso y présente son tableau « Derniers Moments ». Âgé d’à peine 19 ans, il récupère l’atelier du peintre Isidre Nonell, en l’absence de ce dernier, situé rue Gabrielle, à Montmartre. La vie parisienne est rythmée par les visites de musées, les rencontres diverses, mais aussi les sorties nocturnes, la fréquentation des cabarets et autres « lieux de plaisir ».
La période bleue
En 1901, un drame important survient dans la vie de Picasso. Ce dernier, retourné quelques temps en Espagne, apprend le 17 février une triste nouvelle. Son ami Casagemas, dépressif, s’est suicidé, d’un coup de pistolet dans un café parisien, à la suite d’un amour malheureux avec Germaine Pichot.
A la suite à ce malheureux épisode, Picasso connait une sombre période. En plus de la pauvreté dans laquelle il vit, le décès de son ami l’anéantit et il entame alors une série de tableaux teintés de bleu, une couleur associée à une mélancolie profonde. « L’Autoportrait bleu », datant de 1901, et conservé au Musée national Picasso-Paris, témoigne de l’état d’esprit du peintre. Alors qu’il a 20 ans au moment de sa réalisation, il se représente comme un homme aux traits tirés et creusés, au manteau rapiécé, dans une attitude taciturne.
Durant l’été 1901, Picasso est exposé pour la première fois dans une galerie parisienne, celle d’Ambroise Vollard. L’exposition est organisée par le marchand d’art Pedro Mañach. C’est à cette occasion qu’il fait la rencontre du poète Max Jacob. Picasso s’inspire de ce qui l’entoure et des lieux qu’il côtoie, produisant notamment une série de dessins érotiques représentant directement les habitantes des maisons closes. L’année 1902 marque également la réalisation de sa première sculpture en terre : Femme assise.
Toujours dans une situation très précaire, Picasso partage à Paris la chambre que loue Max Jacob, boulevard Voltaire. Les expositions, en avril 1902, chez la galeriste Berthe Weill – qui est la première en France à vendre des œuvres de Picasso – révèlent la période bleue.
La prison St-Lazare
En 1901, Picasso fait la connaissance du docteur Louis Jullien, spécialiste des maladies vénériennes, qui travaille dans l’hôpital de la prison de femmes de Saint-Lazare, à Paris. Les visites pour observer les détenues inspirent le peintre. La solitude des malades, la plupart étant des prostituées, est à l’origine de toiles les mettant en scène dans un décor carcéral, teintés de la mélancolie profonde qui habite déjà Picasso, si caractéristique de la période bleue. Nombre de ces représentations sacralisent la figure féminine, comparable à une madone ou une vierge à l’enfant – les prisonnières étaient autorisées à vivre avec leurs enfants au sein de la prison. L’exemple du tableau « L’Entrevue » conservé au musée de l’Ermitage, à Saint-Pétersbourg n’est pas sans rappeler « La Visitation peinte » par Le Greco (1541-1614). Le musée conserve quelques dessins préparatoires de Picasso, où l’on peut voir la coiffe blanche, portée par les femmes atteintes de maladies vénériennes dans la prison.
Des oeuvres emblématiques
En mai 1903, Picasso concrétise le projet d’une composition qu’il a depuis plusieurs années à l’esprit en recouvrant sa précédente peinture intitulée « Derniers moments » par une représentation emblématique de la période bleue, traitant de la thématique du couple. Ainsi naît « La Vie » conservée au Cleveland Museum of art, véritable allégorie allant de la grossesse à la mort, dans laquelle Picasso inclut des éléments autobiographiques : l’homme prend les traits du défunt Casagemas, témoignant de la souffrance intérieure qui habite l’artiste depuis la perte de son ami. En 1904, « Le Couple » (Merzbacher Kunststiftung) et « La Célestine » sont annonciateurs d’une évolution plastique dans l’œuvre de Picasso, avec l’introduction de nouveaux thèmes et d’un changement esthétique.
Fernande Olivier (1881-1966)
Fernande Olivier entre dans la vie de Picasso dans un moment de transition pour le peintre. Elle décrit d’ailleurs sa première visite dans l’atelier de l’artiste dans ses mémoires, quelques années plus tard : « C’était la fin de "l’époque bleue". De grandes toiles inachevées se dressaient dans l’atelier où tout respirait le travail : mais le travail dans quel désordre…». Connue comme modèle de peinture dans le quartier de Montmartre, celle que l’on surnommait « La Belle Fernande » vit au Bateau-Lavoir en 1904. Elle est souvent accompagnée de son amie Benedetta Canals, compagne du peintre Ricardo Canals, un proche de Picasso. Toutes les deux posent pour les artistes du quartier. Considérée comme l’un des premiers grands amours de Picasso, Fernande ne se mariera jamais avec lui. Le couple profite d’une jeunesse faite de fêtes, d’excès, de voyages et rencontres. « La bande à Picasso » caractérise cette époque parisienne, que Fernande relate dans son livre Picasso et ses amis1 , se remémorant leur entourage parisien de l’époque.
1.OLIVIER Fernande, « Picasso et ses amis », 2001, éditions Pygmalion/Gérard Watelet, Paris
La période rose
Enfin installé au Bateau-Lavoir, à Montmartre, Picasso rencontre d’autres artistes et poètes comme André Salmon et Guillaume Apollinaire. Tous fréquentent le café Au lapin agile, le cirque Médrano et les troupes théâtrales parisiennes. Picasso assiste à des spectacles de saltimbanques et d’acrobates. Petit à petit les sujets évoluent, la figure de l’acteur déguisé et du saltimbanque mélancolique deviennent très présentes dans ses représentations et les couleurs tirent peu à peu vers les tons rosés.
En 1905, Picasso fait la connaissance du journaliste et écrivain hollandais, Tom Schilperoort, qui l’invite à passer le début de l’été dans son village natal, Schoorl. Le voyage dure six semaines, et la production de Picasso s’en tient à deux carnets ainsi que des gouaches. En plus des paysages, il se concentre essentiellement sur les costumes traditionnels portés par des femmes aux courbes généreuses, annonciatrices d’une facture sculpturale dans les œuvres de Picasso.
En 1906, Picasso découvre au musée du Louvre la sculpture ibérique des sites d’Osuna et de Cerro de Los Santos. Puis, en compagnie de Fernande, Picasso entreprend un voyage dans le petit village catalan de Gósol. Cet intermède espagnol est déterminant dans la peinture de Picasso.
Vers « Les demoiselles d'Avignon »
En 1907, Picasso réalise des dessins dont une grande partie se trouve au musée national Picasso-Paris. Leur particularité réside dans l’évolution opérée dans la facture artistique. Ces dessins sont les esquisses préparatoires des « Demoiselles d’Avignon » (The Museum of Modern Art, New York). Point de départ de la période cubiste, le langage géométrique diffère de la période bleue et rose avec une multiplicité des points de vue et de la perspective.