De nos jours, l’on ne va plus à l’asile, on fonde le cubisme.
Etant l’un des mouvements artistiques le plus connu du 20ème siècle, le cubisme est le fruit de la collaboration et de l’amitié entre Pablo Picasso et Georges Braque. Fortement influencé par la peinture de Paul Cézanne, ainsi que par les arts africains, Picasso s’engage dans cette voie à la suite d’une réflexion amorcée depuis quelques temps déjà. Alors comment Picasso en est-il arrivé au cubisme ? Comment se caractérise le cubisme ?
Les prémices du cubisme
Durant l’hiver 1906, Picasso entame les études préparatoires de ce qui deviendra l’année suivante, « Les Demoiselles d’Avignon » (Museum of Modern Art, New York). En plus de montrer frontalement au spectateur des prostituées (la rue d’Avignon étant un lieu de prostitution à Barcelone), la représentation picturale des Demoiselles choque le public de l’époque. De sa création jusqu’à son exposition au Salon d’Antin à Paris en 1916, l’œuvre suscite alternativement l’indifférence, l’incompréhension ou le rejet tant à cause de son sujet que de son traitement. Ici en effet, la perspective est modifiée (les visages sont de face et les nez de profil par exemple), les corps s’étirent et sont fortement stylisés. On assiste déjà à une volonté de géométriser la réalité et les modèles.
Parallèlement, Picasso admire et s’inspire des œuvres de Paul Cézanne (1839-1906), qui laisse un héritage artistique influençant bons nombre de peintres lors de la rétrospective qui lui est consacrée au Salon d’automne de 1907. Bien qu’ils ne se soient jamais rencontrés de leur vivant, Cézanne et Picasso partagent cette même conception de la peinture comme transposition plastique. Au fil des mois, Pablo suit à la lettre la leçon de géométrisation des volumes de son aîné : « Traiter la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout en perspective ».
Picasso et Braque
En novembre 1907, Guillaume Apollinaire, poète et ami proche de Picasso, organise la rencontre avec Georges Braque, jeune peintre rattaché au mouvement Fauve. « Les Demoiselles d’Avignon », à peine achevées, sont visibles dans un coin de l’atelier du Bateau- Lavoir que Picasso occupe à Montmartre depuis 1904. Braque n’en revient pas : « Ta peinture, c’est comme si tu voulais nous faire manger de l’étoupe ou boire du pétrole ». A la suite de cette première rencontre, Braque invite Picasso dans son propre atelier, aussi situé à Montmartre. C’est au tour de l’espagnol de découvrir la production de Braque. Il y admire, les paysages peints dans le sud de la France, à l’Estaque, où Braque se rend régulièrement. Un lien s’est créé entre les deux artistes et dès cet instant, ils travaillent côte à côte pour développer un dialogue pictural extrêmement puissant. Ils restent longtemps amis, même des années plus tard, quand Picasso met de côté le cubisme pour d’autres aventures artistiques.
Le cubisme analytique
En 1909, Picasso passe l’été à Horta, le village de son ami Pallarès, situé dans le sud de la Catalogne, et approfondit sa nouvelle manière de peindre. Dans ses dessins comme dans ses toiles, le petit village devient un mélange de formes cubiques, enchevêtrées les unes dans les autres.
Peu à peu, et jusqu’en 1912, le cubisme prend de plus en plus de distance vis-à-vis du sujet représenté. C’est ce qu’on appelle le cubisme « analytique ». Cela se traduit par une représentation fragmentée et presque monochromatique du sujet. Les formes sont définies par des cubes, des rectangles et des cylindres dont les facettes s’interpénètrent, ce qui les rend souvent difficiles à déchiffrer.
Le cubisme s’impose rapidement par sa force de représentation. D’autres peintres, comme Juan Gris, Fernand Léger, Jean Metzinger ou encore Francis Picabia, ne manquent pas d’adopter ce nouveau langage plastique. Ce sont eux qui, contrairement à Picasso et Braque qui se refusent à exposer leurs œuvres, font valoir le mouvement auprès du grand public. Le Salon des indépendants de 1911 réunit dans une même salle leurs œuvres.
Le cubisme synthétique
En 1912, afin d’échapper aux limites du cubisme analytique et réaffirmer un lien plus visible avec la réalité, Picasso introduit dans ses œuvres des éléments du quotidien. Il engage ainsi une nouvelle réflexion esthétique sur les différents niveaux de référence au réel : c’est le cubisme dit « synthétique ». Picasso est au Havre avec Braque quand ils commencent à insérer des lettrages appliqués au pochoir sur leurs œuvres, ainsi que des matières organiques, comme le sable. Picasso réalise ensuite à Paris, au printemps, le tout premier collage de l’histoire de l’art, « Nature morte à la chaise cannée ».
Le collage se caractérise par une juxtaposition inédite d’éléments qui relèvent non seulement de la représentation, mais aussi de la simple présentation. A côté des signes peints qui convoquent par fragments journal, pipe, verre, tranche de citron, couteau et coquille Saint-Jacques, Picasso introduit un morceau de réalité en collant sur la toile un bout de toile cirée imitant un cannage de chaise et en ceinturant sa composition ovale d’une corde. Quelques mois plus tard, il poursuivra dans cette voie en inventant les papiers collés, qui recourent régulièrement à l’usage de papiers journaux. L’apogée du cubisme a lieu à l’automne 1912, avec l’exposition de la Section d’Or dans la galerie parisienne de La Boétie. L’évènement rassemble une trentaine d’artistes, dont Albert Gleizes (1881- 1953) et Jean Metzinger (1883-1956), et voit la publication d’un traité, « Du cubisme ». Ce livre de référence remonte la plastique depuis Gustave Courbet, en expliquant que le cubisme est une suite logique artistique, comportant des aspects novateurs.
Le choc de la guerre
La Première Guerre Mondiale, en 1914, interrompt brutalement l’essor du cubisme. Beaucoup d’artistes sont mobilisés, dont Braque et Derain. Picasso, de nationalité espagnole, n’est pas appelé, mais à Paris, il réoriente son travail et réintroduit peu à peu une représentation classique du sujet avant de se lancer, en 1917, dans l’aventure collaborative des ballets russes. Au retour des tranchées, Braque est blessé, et ne repeindra qu’à partir de 1917.