Mais voyez ces surréalistes ! Comme ils sont malins ! Ils ont trouvé que ces dessins répondaient exactement à leurs idées abstraites.
Le style artistique de Picasso évolue considérablement depuis son arrivée à Paris en 1901. Se succèdent les périodes bleu et rose, puis une révolution picturale avec le cubisme pouvant parfois aller jusqu’à l’abstraction. Picasso ne cesse de renouveler sa représentation de la réalité. A la suite de sa collaboration avec Diaghilev pour les ballets russes et influencé par Apollinaire, puis André Breton, l’artiste tend peu à peu vers un art associé au surréalisme à partir de 1924. Quel est le rapport entre Picasso et le mouvement surréaliste ?
Le surréalisme
André Breton, désigné comme chef de file du surréalisme, décrit le mouvement dans son manifeste, rédigé en 1924, comme « un automatisme psychique pur par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de tout autre manière, le fonctionnement réel de la pensée ». Breton est un grand admirateur de Picasso, et voit déjà dans le cubisme une envie de l’artiste de se défaire de la représentation figurative classique en peinture. Pour Breton, le cubisme représentait l’une de ses périodes préférées de Picasso. Picasso et André Breton se rencontrent en 1918, dans les appartements de Guillaume Apollinaire la veille de son décès. L’entente est immédiate et ils continuent de se côtoyer après la disparition de leur ami commun. En 1923, Picasso fait le portrait de Breton à sa demande, pour illustrer le texte Clair de Terre. C’est aussi Breton qui conseille à Jacques Doucet d’acquérir les Demoiselles d’Avignon en 1924. Breton fait figure de soutien au peintre, le défendant régulièrement contre la critique, mais reste avant tout un ami cher à Picasso.
Le soutien des surréalistes
En 1924, Picasso réalise de grandes natures mortes toujours dans une veine cubiste et décorative. La construction en métal peint « Guitare », marque un tournant. En effet, elle est reproduite cet hiver-là dans le premier numéro de « La Révolution Surréaliste », et mise en parallèle avec un texte poétique de Pierre Reverdy (1889-1960). Les œuvres de Picasso seront ensuite régulièrement reproduites dans la revue.
La même année, après de nombreux échanges et à la suite d’une forte argumentation épistolaire, André Breton et Louis Aragon persuadent le grand collectionneur Jacques Doucet d’acquérir « Les Demoiselles d’Avignon » pour la modique somme de 25 000 francs (peu élevée pour l’époque). Le but initial était de faire rester le tableau en France, mais la femme du collectionneur le vend à la mort de son mari. Picasso travaille parallèlement sur le ballet Mercure. Dans ses dessins préparatoires, il trace des formes plus molles mais est toujours influencé par le cubisme. Le ballet est mal perçu lors des représentations et c’est le groupe des surréalistes qui publie en juin 1924, dans la revue « Paris-Journal » un « Hommage à Picasso », pour marquer son soutien. A partir de 1925, « La Révolution Surréaliste n°2 » reproduit deux pages de dessins abstraits d’un carnet réalisé à Juan-les-Pins l’année précédente. Le numéro 4 de la même revue, présente « Les Demoiselles d’Avignon » pour la première fois. Breton y publie son essai intitulé « Le surréalisme et la Peinture », abondamment illustré par des œuvres de Picasso. Le numéro 5 reproduira également des œuvres de l’artiste. Ainsi, le mouvement surréaliste est souvent associé au travail de Picasso, qui illustre régulièrement ces textes. Le lien s’établit grâce à la revue, porté et mis en avant par André Breton.
La participation surréaliste de Picasso
En 1925, Picasso « s’installe » chez les surréalistes. En effet, le 14 novembre ouvre l’exposition La Peinture Surréaliste à la galerie Pierre, au 13 rue Bonaparte, à Paris, et il y expose quelques-unes de ses œuvres dont « Noël, la neige », « Homme à la guitare » et « Tête de Femme ».
Maurice Raynal, critique d’art pour la revue « L’Intransigeant », commente l'exposition : « Le père du cubisme est devenu le fils adoptif des surréalistes ! ». Dans l’inconscient collectif, Picasso prend de cette manière part au groupe des surréalistes, même s’il ne s’est jamais revendiqué comme tel. Il serait difficile de voir dans les œuvres de Picasso un affrontement entre les deux mouvements mais plutôt une connexion, une superposition. En 1926, il réalise plusieurs « Guitare », assemblages de toile, corde, papiers collés, papiers peints, clous et crochets, autant de variations considérées comme surréalistes et reposant sur un principe de construction cubiste.
Durant l’année 1928, Picasso réalise dans l’atelier de Julio González, confrère surréaliste, des sculptures en fer, qui sont des projets pour le monument à Apollinaire, mort en 1918. Daniel Henry Kahnweiler, collectionneur et marchand d’art qui a longtemps travaillé aux côtés de Picasso, les qualifie de « dessins dans l’espace ». A la suite de cela, Picasso effectue une série de peintures où les thématiques classiques des grands nus se voient gouvernées par des couleurs fortes et des déformations multiples, comme en témoigne « Le Grand nu au fauteuil rouge », réalisé en 1929.
De Vollard à Tériade : la figure du Minotaure
La thématique de la mythologie antique apparaît à ce moment-là dans l’œuvre de Pablo Picasso. La première représentation de la figure du Minotaure date de 1928. Lors de l’été 1931, qu’il passe à Juan-les-Pins, il initie une série de gravures, pour la « Suite Vollard », une commande de son marchand d’art et éditeur Ambroise Vollard. Cette suite met en scène l’artiste dans son atelier, ainsi que la figure du Minotaure, que Picasso représente comme une mise en abyme de lui-même, avec Marie- Thérèse dans le rôle de modèle du peintre. A l’automne, la mythologie réapparaît dans le travail de Picasso avec l’illustration des « Métamorphoses » d’Ovide, dont l’édition est dirigée par Albert Skira. Skira, éditeur spécialisé dans les livres et revues d’art, fait régulièrement appel à différents artistes de l’époque, pour imager ses ouvrages. Le peintre se consacre donc aux livres illustrés. Pour la publication du « Chef-d’œuvre inconnu » d’Honoré de Balzac, Vollard lui commande treize eaux-fortes. Au-delà de Picasso, c’est le mouvement surréaliste réinvestit le mythe du « Minotaure », comme en témoigne la revue elle-même appelée Minotaure. Initiée par un autre éditeur et critique d’art grec, Tériade, elle convoque de nombreux artistes affiliés au surréalisme, notamment Picasso, qui collabore avec lui.
La Minotauromachie
En 1933 il réalise ainsi un collage pour l’une des premières couvertures. La publication conjointe des numéros 1 et 2 de la revue, comporte un article d’André Breton : « Picasso dans son élément ». Régulièrement, « Minotaure » publiera des articles sur Picasso, souvent rédigés par Tériade lui-même. Le thème du Minotaure ne quitte plus Picasso, qui l’utilise dans ses séries de gravures appelée « La Minotauromachie », en 1935. La figure du monstre antique est suivie de près par la réapparition du thème de la corrida, sujet cher et récurrent dans l’œuvre de Picasso, qui depuis tout petit, est fasciné par ce pan de la culture espagnole, et plus largement méditerranéenne.
Marie-Thérèse Walter (1909-1977)
Picasso rencontre Marie-Thérèse, alors que celle-ci se promène avec sa sœur sur le boulevard Haussmann, devant les galeries Lafayette. Le peintre tombe instantanément sous le charme de la jeune fille. Etant encore marié à Olga Kokhlova, ils doivent cacher leur relation, d’autant plus que Marie-Thérèse est mineure au moment de leur rencontre. Picasso achète le château de Boisgeloup près de Gisors, où il aménage son atelier de sculpture en 1930. Il installe alors secrètement Marie-Thérèse au 44 rue La Boétie, à Paris. Un an plus tard, à Boisgeloup, il engage la série des « Têtes » et « Bustes de femme », en plâtre, qui sont des variations sur le visage de Marie-Thérèse. La représentation de Marie-Thérèse passionne inlassablement Picasso, qui ne se tarie pas de la figurer de diverses manières, aussi bien comme une déesse dans ses illustrations mythologiques, qu’une muse inspirante. En 1935, Picasso se sépare d’Olga, mais le couple renonce à divorcer. Le 5 septembre de cette même année naît Maria de la Concepción, surnommée Maya, fille de Pablo et Marie-Thérèse, dont Picasso va rester très proche tout au long de sa vie.