Paul en Arlequin

1924
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Picasso - Paul en Arlequin - MP83 - 16-515535
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Picasso - Paul en Arlequin - MP83 - 16-515535
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Pablo Picasso, « Paul en Arlequin », 1924 , Huile sur toile, 130 x 97,5 cm, MP83, Musée national Picasso-Paris

La jeunesse est une période où l’on se déguise, où l’on cache sa personnalité. C’est une période de mensonges sincères.

Pablo Picasso

Février 1921. Pablo Picasso vit aux côtés de son épouse Olga Khokhlova, dans leur appartement du 23, rue de la Boétie à Paris. Un événement majeur bouleverse leurs vies : l’arrivée de leur fils, Paulo, le 21 février de cette même année.

Paulo grandit dans un confort offert par la notoriété grandissante de son père. En effet, ce dernier voit ses œuvres se vendre de plus en plus chères. Les Demoiselles d’Avignon, célèbre chef-d’œuvre cubiste, est acquis cette année-là pour la somme de 25 000 francs par Jacques Doucet, un riche héritier, grand couturier, collectionneur et mécène hautement reconnu dans la France des années 1920.

C’est donc dans une double atmosphère d’ascension sociale et de nouvelle vie de famille que Picasso réalise un portrait de son fils, déguisé en Arlequin.

Pourquoi l’artiste choisit-il de représenter son enfant dans un costume d’Arlequin?

L’environnement de Picasso en 1924 : Arlequin, au cœur de l’inspiration du peintre

Les Ballets Russes

Picasso reçoit différentes commandes de la part de Serge de Diaghilev, fondateur de la célèbre compagnie des Ballets Russes. En effet, Picasso réalise les différents décors, rideaux de scènes et costumes qui donnent le ton de chaque ballet. Cette année 1924, il doit réaliser les décors du ballet Mercure. L’artiste baigne donc dans un monde de spectacle vivant, et nourrit ses recherches picturales personnelles de cette atmosphère théâtrale inhérente aux ballets et à l’opéra. Les différents personnages peuplant ces spectacles deviennent de potentiels sujets à représenter. La figure de l’Arlequin, issue du genre théâtral italien de la Commedia dell’Arte lui permet de représenter un individu aux multiples facettes et à la personnalité complexe. Le Musée national Picasso-Paris conserve de nombreuses œuvres, dont des dessins, peintures et esquisses qui donnent à voir différentes interprétations d’Arlequin. L’artiste avait d’ailleurs représenté un Arlequin dès l’année 1901, avec un air mélancolique représentant son tourment, sa solitude et sa tristesse, dus à la perte de son cher ami, Carlos Casagemas.

L’artiste baigne donc dans un monde de spectacle vivant, et nourrit ses recherches picturales personnelles de cette atmosphère théâtrale inhérente aux ballets et à l’opéra. Les différents personnages peuplant ces spectacles deviennent de potentiels sujets à représenter. La figure de l’Arlequin, issue du genre théâtral italien de la Commedia dell’Arte lui permet de représenter un individu aux multiples facettes et à la personnalité complexe. Le Musée national Picasso-Paris conserve de nombreuses œuvres, dont des dessins, peintures et esquisses qui donnent à voir différentes interprétations d’Arlequin. L’artiste avait d’ailleurs représenté un Arlequin dès l’année 1901, avec un air mélancolique représentant son tourment, sa solitude et sa tristesse, dus à la perte de son cher ami, Carlos Casagemas.

Arlequin, une figure d’époque pour les artistes et poètes des années 1920

Arlequin, vêtu de son costume aux multiples facettes, est, pour différents artistes des années 1920, un personnage idéal pour rendre compte de potentielles variations d’humeurs ou d’états psychologiques.

Des peintres comme Paul Cézanne en 1888 avec le tableau Arlequin, Joan Miro en 1924 et 1925 avec la toile Le carnaval d’Arlequin, ou encore des écrivains et poètes comme Max Jacob avec le dos d’Arlequin en 1921 et Guillaume Apollinaire avec son poème Crépuscule, offrent tous de nouvelles interprétations de ce célèbre personnage. Arlequin, ce personnage de la Commedia dell’Arte, serait donc une réelle source d’inspiration pour les intellectuels du début du XXème siècle ? Ce n’est pas Picasso qui dira le contraire !

Le monde du cirque

Depuis son enfance, Picasso développe un intérêt pour le cirque ; jeune, il va souvent voir passer les compagnies itinérantes de cirque de Barcelone. En grandissant et en arrivant à Paris, il ne perd pas le goût pour cette forme de spectacle pittoresque ; il se rend régulièrement sur les boulevards de la capitale (française), dont le boulevard Rochechouart, pour venir admirer les danseurs, acrobates et autres saltimbanques qui nourrissent alors l’imaginaire du jeune peintre. Le cirque devient d’ailleurs, en 1904 et 1905, une thématique centrale de sa recherche picturale.

Ces personnages qu’il représente oscillent entre beauté de leurs costumes et mélancolie de leurs conditions. Ces « bohémiens en voyage » (pour reprendre le titre d’un poème de Baudelaire, 1857, dans Les Fleurs du Mal) sont donc au cœur de l’inspiration de l’artiste. Arlequin et son vêtement en losanges sont omniprésents dans les œuvres de Picasso de cette période dite Rose.

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Picasso - Saltimbanque au diadème assise le bras tendu - MP502 - 19-501688
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Pablo Picasso, « Saltimbanque au diadème assise le bras tendu », 1905, Plume et encore de couleur sépia sur papier vierge, 15 x 11 cm, MP502, Musée national Picasso-Paris
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Picasso - Jeune femme saltimbanque agenouillée devant un saltimbanque à la couronne - MP501 - 03-016122
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Pablo Picasso, « Jeune femme saltimbanque agenouillée devant un saltimbanque à la couronne », Printemps 1905, Epreuve sur papier, 24 x 16 cm, MP501, Musée national Picasso-Paris
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Picasso - Le saltimbanque au repos - MP1899 - 93-009993
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Pablo Picasso, « Le saltimbanque au repos », Printemps 1905, Epreuve sur papier, 12 x 8 cm, MP1899, Musée national Picasso-Paris

Paul en Arlequin en détails

Sur un fond sobre, dépourvu d’ornements ou de décoration, Picasso représente ici son jeune fils Paul. Ce dernier n’est pas réellement assis sur son fauteuil, mais comme appuyé, dans un équilibre précaire.

Le petit garçon est vêtu d’un costume identifié comme étant celui d’Arlequin, avec les losanges colorés de la combinaison, la fraise autour du cou, et le bicorne sur la tête. Ce costume, Picasso le possède, dans son atelier. Il lui a été laissé ou offert par son ami Jean Cocteau, qui lui a rendu visite déguisé en Arlequin, un jour de l’année 1916. Le peintre s’en sert des années après pour habiller certains de ses modèles, dont son fils ici, mais aussi des amis, tels que le peintre Jacint Salvadò en 1923.

Les traits de son visage suggèrent une moue légèrement boudeuse, traduisant peut-être la lassitude de ce jeune enfant de 3 ans devant rester statique, posant comme modèle pour son père.

La toile, dans son ensemble, paraît inachevée, à la fois par le non-traitement de l’arrière-plan laissé brut, et des pieds du personnage ainsi que du fauteuil. Enfin, le style employé est assez figuratif, fidèle à la réalité.

Le traitement assez figuratif du sujet fait écho aux inspirations néoclassiques que connaît Picasso depuis son voyage en Italie en 1917, notamment au Musée archéologique de Naples et à Pompéi. Il s’en inspire d’ailleurs en 1918 pour réaliser le Portrait d’Olga dans un fauteuil, représentant celle qui va devenir son épouse et la mère de son premier enfant.

Ce portrait admet d’étonnantes similitudes avec celui de Paul en Arlequin. Les deux portraits sont composés de manière identique, avec des fauteuils placés au centre de la composition, sur lesquels les protagonistes sont appuyés. Le même inachèvement de la toile, notamment des pieds de l’assise et du personnage est à observer ; les visages sont tous les deux semblables à de la porcelaine. Les couleurs pâles employées évoquent une forme de tendresse. Enfin, une tristesse transparait de leurs regards respectifs les deux personnages étant plongés dans une mélancolie palpable.

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Picasso - Portrait d’Olga dans un fauteuil - MP55 - 16-550467
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Pablo Picasso, « Portrait d’Olga dans un fauteuil », 1918, Huile sur toile, 130 x 88 cm, MP55, Musée National Picasso-Paris

Arlequin (ou Picasso) dans le reflet de la toile

La personnalité du peintre et le personnage théâtral se confondent dans nombreuses œuvres de Picasso. En effet, l’Arlequin apparaît comme étant son double mélancolique, incarnant ses propres faiblesses et sa propre solitude, et ce depuis 1901, année du début de la Période Bleue de l’artiste.

Après l’avoir représenté dans diverses compositions picturales, la figure d’arlequin se trouve ici incarnée par son propre fils. Conjointement, Picasso fait subtilement référence à une complexité personnelle, en représentant son fils, vêtu du costume de celui qui connaît autant de facettes que de losanges sur son vêtement.

Ce portrait de Paul en Arlequin s’inscrit dans un ensemble de portraits d’arlequins que Picasso réalise dans les années 1923 et 1924. Il prend pour modèle ses proches, et les représente généralement dans la même posture assise. L’un d’entre eux se distingue cependant de l’ensemble : Arlequin au miroir, datant de 1923, représentant son ami peintre Jacint Salvadó.

Ce déguisement confère une envergure autobiographique à ces deux portraits. De plus, avec Arlequin au miroir, le protagoniste admire son reflet dans une mise-en-scène qui renforce d’autant plus la métaphore du double.

Conclusion

Picasso choisit de représenter son jeune fils Paul, déguisé en Arlequin, dans une posture et dans une atmosphère semblables à celles conférées à Olga dans Portrait d’Olga dans un fauteuil. Paul en Arlequin n’est pas qu’un simple portrait d’enfant, mais implicitement un autoportrait de l’artiste, qui se retrouve dans cette figure d’Arlequin, complexe par ses multiples facettes, et dans la figure de son propre fils.