De l’atelier au musée

Le processus créatif

Depuis son premier séjour à Paris, rue Gabrielle, jusqu’au mas de Mougins, Pablo Picasso connaît une vingtaine de lieux de vie et de création en France entre 1900 et 1973. L’atelier de Picasso est un univers où se croisent matières, techniques, volumes et images, supports et outils, archives et sources diverses qui alimentent le « laboratoire » où l’œuvre se découvre dans son processus créatif.
« L’Alambic des formes » (Michel Butor) est aussi chez Picasso le lieu de l’expérimentation photographique. Les différents attributs de l’atelier se retrouvent sur le plateau de tournage du « Mystère Picasso » (1955) par Henri-Georges Clouzot, film qui vise à capter l’essence et l’énergie du geste picassien.

De la donation de 1973 à la dation de 1979

Le 10 avril 1973 est annoncée la donation à l’État de la collection personnelle de Pablo Picasso décédé deux jours plus tôt. Le 13 novembre 1979, ses héritiers signent l’agrément de la dation, c’est- à-dire le paiement de leurs droits de succession à l’État en objets de valeur artistique et historique.

Entre ces deux dates fondatrices du patrimoine picassien de la nation, un travail d’inventaire colossal s’est déroulé dans les divers ateliers de Picasso. La dation, qui constitue le cœur du futur Musée national Picasso-Paris, sera exposée au Grand Palais en avant-première en octobre 1979 avant de circuler dans le monde.

1985, l’ouverture du musée

En 1976, Dominique Bozo, conservateur responsable de la préfiguration du Musée national Picasso, rédige le pré-programme de la consultation visant à désigner l’architecte en charge de la rénovation et de l’aménagement de l’Hôtel Salé. Jean Monge, Roland Castro et le Groupement pour l’Architecture et l’Urbanisme, Carlo Scarpa et enfin Roland Simounet répondent à la consultation. Ce dernier élabore une proposition audacieuse : il intègre tous les éléments du programme dans l’Hôtel Salé. La circulation est rythmée par des décrochés et des fentes qui permettent des points de vue sur le paysage architectural intérieur. Le musée imaginé par Simounet offre une grande proximité entre l’œuvre et le spectateur. Le musée est inauguré le 23 septembre 1985. L’année suivante, Roland Simounet reçoit l’Equerre d’argent pour ses aménagements.

La dation Jacqueline Picasso

Après la disparition soudaine de Jacqueline Picasso, dernière épouse de l’artiste, une dation permet l’entrée dans le patrimoine public en 1990 d’un nouvel ensemble exceptionnel, grâce notamment à un groupe important de portraits de toutes les époques et à 24 carnets de dessins exécutés entre 1899 et 1966. Une grande part des 47 peintures relève de la dernière période de création de Picasso.
La dation compte aussi des dessins, sculptures, céramiques, gravures et lithographies, ainsi qu’un papier collé de Georges Braque. Conformément à la volonté publique de redéploiement des collections nationales en direction des musées en région, la ventilation de la dation a bénéficié en 1991 à 21 musées de France.

Archives

Papiers personnels, lettres, télégrammes, journaux, prospectus, manuscrits, livres, photographies, disques, bricoles… Une grande partie de l’univers qui environnait Pablo Picasso est aujourd’hui conservée au Musée national Picasso-Paris, avec le concours et l’expertise des Archives nationales.

Soucieux de l’intégrité et de la pérennité de l’ensemble, les héritiers de Picasso en ont fait don à l’État en 1991. Depuis, le Musée national Picasso est chargé d’en assurer le classement, l’inventaire, la gestion et la valorisation scientifique. Ce fonds est évalué à près de 200 000 documents, dont 17 000 photographies. Son inventaire sommaire, réalisé avec les Archives nationales, est disponible en ligne sur les sites du Musée national Picasso et des Archives nationales.

Histoires d’expositions

Depuis 1987, une centaine d’expositions temporaires a été organisée par le musée. La programmation culturelle décline plusieurs formules : dans l’Hôtel Salé ou « hors-les-murs », comme au Centre Pompidou et au Grand Palais pour les projets de large envergure, mais aussi ailleurs en France et au sein d’un vaste réseau institutionnel à l’étranger. Périodes, techniques, thèmes ou confrontations, autour d’une acquisition, etc. Catalogues, photographies de salle, affiches, témoignent de cette diversité.

Picasso, 1897-1929

Autoportraits

Tout sa vie, Pablo Picasso se peint lui-même et se réinvente sous des traits inattendus, de la jeunesse à l’âge mûr. Ici, seul l’« Autoportrait » de 1906, celui d’un jeune homme nu jusqu’à mi-corps, répond à cette définition du portrait de soi : on reconnaît un Picasso vigoureux, âgé seulement de 25 ans. Il revient alors d’un séjour à Gósol où il a découvert la sculpture catalane traditionnelle. L’arc des sourcils se prolongeant pour former l’arête du nez est typique de cette influence primitive. Réalisé en 1937, le moulage de sa main droite, telle une empreinte magique, témoigne de son désir de garder la trace de l’instrument de son génie créateur. Exécuté deux ans avant la mort de l’artiste, « Le Jeune Peintre » est tout autant l’image d’un maître confirmé qui excelle dans la simplicité de sa facture qu’un salut émouvant aux jeunes peintres à venir.

Bleu et rose

Période bleue et période rose : c’est sous le signe de ces deux couleurs prédominantes que les critiques ont d’abord caractérisé l’œuvre de jeunesse de Pablo Picasso. Il entre dans le bleu à l’été 1901, en renonçant à une peinture aux coloris vifs, à la Van Gogh, encore visible dans « La Mort de Casagemas ». Le rose colore en 1904 les joues de l’entremetteuse « La Célestine », avant de baigner les nus et les scènes de saltimbanques. Les corps sont graciles, évanescents, déformés comme dans la peinture du Greco. Le jeune Picasso représente les miséreux, thématique traditionnelle de l’école espagnole, et miroir des conditions précaires de son existence à Paris au début du siècle. Puis, les saltimbanques, alors qu’il fréquente le cirque Medrano, renvoient à la position à la fois fascinante et marginale de l’artiste dans le monde.

Pablo Picasso et Guillaume Apollinaire

Pablo Picasso fait la connaissance de Guillaume Apollinaire en février 1905 à l’Austin Café. Les deux artistes se lient très vite d’une amitié forte. Au printemps, Apollinaire est le premier critique contemporain de Picasso en France à reconnaître son génie et à promouvoir son œuvre par ses articles pour « La Revue Immoraliste » puis pour « La Plume ». En retour, Picasso dessine de nombreux portraits d’Apollinaire dont beaucoup de caricatures dans lesquelles le poète est reconnaissable par le dessin de sa tête en forme de poire. Picasso et Apollinaire sont également passionnés par les arts africains et océaniens qu’ils découvrent en 1906 et qui auront une influence durable sur leur œuvre.

Au printemps 2016, le musée de l’Orangerie présentera une exposition consacrée à Guillaume Apollinaire et la naissance de l’art moderne.

Laboratoire cubiste

« Un atelier de peintre doit être un laboratoire » (Pablo Picasso).

Au lendemain de l’invention des papiers collés à l’automne 1912, le cubisme de Braque et de Picasso s’engage dans la conquête du volume. Dans ce laboratoire de formes qu’est l’atelier de l’artiste, est initié un dialogue continu et fructueux entre la deuxième et la troisième dimension. Par le pliage, le collage devient relief. D’abord projetés sur le plan, les papiers collés des guitares et violons se font sculptures avec l’invention des deux guitares en carton de décembre 1912 ou le « Violon » de décembre 1913. Dans ces « sculpto-peintures » (Daniel-Henry Kahnweiler) s’invitent les matériaux pauvres et objets quotidiens : papier journal, papier peint, boîte en carton, boîte à cigares ou le célèbre morceau de toile cirée qui orne la « Nature morte à la chaise cannée ».

Cubismes

Le cubisme que Pablo Picasso invente avec Georges Braque en « cordée » à partir de 1908 fonde probablement l’art du XXème siècle. Il se décompose en une première phase cézanienne (1908-1909), marquée par la géométrie et les formes ouvertes de la peinture de Paul Cézanne, une seconde phase analytique et quasi abstraite (1910-1911) reposant sur une décomposition accrue des formes en multiples facettes, et enfin, une troisième phase synthétique, inaugurée en 1912 avec l’apparition des papiers collés et des objets. Braque et Picasso envisagent de représenter les choses non pas telles qu’elles se présentent à l’œil mais telle qu’elles apparaissent à l’esprit, c’est-à-dire telles qu’on les connait : « l’art ne doit pas être un trompe-l’œil mais un trompe-l’esprit » (Pablo Picasso).

Olga

Olga Khokhlova est née en 1891 à Nijyn dans ce qui est alors l’Empire russe. Après un voyage en France, elle entre comme danseuse en 1912 dans la prestigieuse et innovante troupe des Ballets Russes dirigée par Serge de Diaghilev. C’est à Rome au printemps 1917 qu’elle rencontre Pablo Picasso ; l’artiste y réalise les décors et les costumes du ballet « Parade ». Ils se marient le 12 juillet 1918. Modèle par excellence de la période classique de Picasso, Olga apparaît d’abord sous une ligne fine et élégante marquée par l’influence ingresque. Au début des années 1920, elle se mue en femme colossale à l’expression figée dont les traits massifs rappellent la statuaire de la Rome antique. En 1929, dans le « Grand nu au fauteuil rouge », elle n’est plus que douleur, forme molle et monstrueuse dont la violence expressive traduit la nature de la crise conjugale traversée par le couple.

Le Musée National Picasso-Paris consacrera une exposition à Olga au printemps 2017.

Picasso, 1922-1973

Baigneuses

En 1928 et 1929, Pablo Picasso passe l’été en famille à Dinard avec Olga et leur fils Paulo. Ce sont des mois de chassés-croisés amoureux car y séjourne également Marie-Thérèse Walter, sa nouvelle maîtresse. La « Baigneuse ouvrant une cabine », avec sa petite clef noire, évoquerait des rendez-vous secrets. Picasso transforme le thème classique de la baigneuse en créature à l’anatomie décomposée, mais d’une grande légèreté. Parallèlement, la chair tend à se faire os ou pierre, ce qui caractérisera la période dite de « Boisgeloup » marquée par une forte dimension sculpturale. La métamorphose, thème lié au surréalisme, traverse le travail de Picasso depuis 1925. Avec la « Femme lançant une pierre », l’anecdote érotique a laissé place à une simplification accrue des formes. La mer et la plage ont disparu : ne reste que le corps, disloqué, et sa matérialité picturale.

Ces sujets seront analysés dans une exposition consacrée à l’année 1932, prévue pour l’automne 2017 au Musée National Picasso-Paris.

Parenthèse artistique

9 janvier 1935, « Femme lisant » – 3 avril 1936, « Portrait de jeune fille » : entre ces deux peintures, Pablo Picasso ne peint plus et plonge brutalement dans l’écriture alors qu’il est au bord de la rupture avec son épouse Olga, et que sa maîtresse Marie-Thérèse attend un enfant, Maya. Pour cet ami des poètes Guillaume Apollinaire et Max Jacob, l’écriture est poésie : il produira ainsi 280 textes poétiques entre 1935 et 1940, dont un tiers entre janvier 1935 et avril 1936. Dans ses pages d’écriture, mots et dessins se confondent, mêlant croquis, chiffres et rehauts aux crayons de couleur. Les textes sont souvent biffés, raturés, mais tous sont datés, parfois à l’heure près. Son écriture évolue aussi selon l’humeur, du tracé nerveux à la calligraphie serrée ; l’orthographe, la grammaire et la ponctuation sont volontairement aléatoires, qu’il écrive en français ou en espagnol.

Surréalisme

« La beauté sera convulsive ou ne sera pas » : cette formule du surréaliste André Breton se lit dans plusieurs œuvres de Pablo Picasso où la déformation touche la figure humaine, nouvel assemblage de formes biomorphiques, dans les peintures l’« Acrobate » de 1930 ou les « Femme au fauteuil rouge » de 1932 et en sculpture les « Baigneuses » et « Femme assise » de 1931. Ainsi que Breton l’écrit dans « Picasso dans son élément », publié dans la revue Minotaure en 1933, par le jeu du collage et de l’assemblage, Picasso instaure un trouble dans le regard du spectateur. Au gré d’une « aimantation élective » (Breton), objets et matériaux trouvés sur la plage fusionnent dans les compositions au sable de l’été 1930, tandis qu’en 1932 se pose dans le champ d’une petite toile « un papillon commun pour toujours immobilisé près d’une feuille sèche » (« Composition au papillon »).

Picasso abstrait

Le mépris constamment affiché de Pablo Picasso pour l’art abstrait prend racine dans la crise qu’il subit pendant l’été 1910, à Cadaqués. Après avoir cherché depuis plus d’un an à réduire son vocabulaire plastique à un petit nombre de signes, il débouche alors sans le vouloir sur des œuvres quasiment abstraites, dont le motif n’est plus reconnaissable. Se rétractant dès son retour à Paris, en réintroduisant dans ses toiles des détails figuratifs très lisibles, il se jure bien de ne jamais baisser sa garde devant le risque de l’abstraction. Pourtant, sa vie durant, Picasso éprouve périodiquement le besoin de tester sa résistance à cette tentation de l’abstrait, que ce soit en 1913 avec sa série de « Têtes-Guitares », lors des années 1920, particulièrement durant son flirt avec le surréalisme, ou dans l’immédiat après-guerre dans une grande toile comme « La Cuisine », et au-delà. Cette salle évoque certains de ces épisodes d’exorcisme dans la carrière de Picasso.

Les peintures de guerre

Pour Pablo Picasso, le conflit a commencé en 1936 avec la guerre d’Espagne. Il est ensuite désigné comme « peintre dégénéré » par les nazis. En 1940, la nationalité française lui est refusée, le taxant d’anarchiste. Il choisit de rester auprès de ses œuvres et passe l’Occupation dans son atelier des Grands-Augustins. La difficulté des temps se ressent dans son travail, notamment dans la pièce à caractère surréaliste, « Le Désir attrapé par la queue » (1941 ; première lecture chez Michel Leiris en 1944). Les natures mortes et les papiers déchirés, rappellent la mort qui rôde et les tables maigres. Picasso utilise des couleurs terreuses, sombres, revient à la violence du primitivisme.

Les Déjeuners sur l’herbe

Pablo Picasso s’attaque véritablement au « Déjeuner sur l’herbe » d’Édouard Manet à l’été 1959, après avoir réinventé les « Femmes d’Alger » d’Eugène Delacroix, et les « Ménines » de Diego Velázquez. Icône scandaleuse, cette peinture intéresse Picasso par le mélange des genres qu’elle opère entre les thèmes des baigneuses et du concert champêtre. Sa composition, avec cette trouée dans la verdure, représente aussi un défi dans l’articulation des figures – tantôt distinctes, tantôt enchevêtrées – et du fond. Picasso poursuit ce travail plastique en l’adaptant à d’autres supports : il entame, dès 1961 une série de linogravures et réalise en août 1962 des maquettes en carton qui seront agrandies en bétongravure par Carl Nesjar pour le Moderna Museet de Stockholm, puis des lithographies pour illustrer l’ouvrage de Douglas Cooper « Les Déjeuners » (Paris, 1963).

Avignon, 1970, 1973

Pablo Picasso et les époux Zervos sont liés par une amitié ancienne, via la revue « Cahiers d’art » (1926-1960), et la publication du catalogue raisonné (1932-1970) que Christian a édités. Yvonne organise en 1970 au palais des Papes à Avignon une exposition de peintures et gravures de 1969 et 1970. Ce « dernier Picasso » fait scandale par son érotisme et la flamboyante rupture stylistique qu’il représente : une gestuelle expressionniste est libérée. Après la mort de Picasso le 8 avril 1973, Jacqueline Picasso reprend l’idée d’une exposition des dernières peintures (1970-1973). C’est à nouveau un scandale, Douglas Cooper parlant même de « gribouillages ». Dans les années 1980, le « retour de la peinture » dans l’art contemporain fera naître chez les conservateurs et les critiques un nouveau regard sur l’ultime période de Pablo Picasso.

Picasso, figure publique

1937 : Guernica et la guerre d’Espagne

La guerre d’Espagne éclate le 18 juillet 1936, par le putsch du Général Francisco Franco contre le jeune gouvernement du Front Populaire. Pablo Picasso soutient les Républicains et est nommé directeur du musée du Prado. Il grave Songe et mensonge de Franco sous l’apparence du despote Ubu d’Alfred Jarry. En janvier 1937, l’Espagne choisit Picasso pour défendre sa cause à l’Exposition internationale des arts et techniques de Paris. Le bombardement de la petite ville basque de Guernica le 26 avril déchaîne le processus créatif qui mène au chef-d’œuvre. Guernica est l’élément clef du pavillon qui mêle des artistes espagnols engagés et des panneaux pédagogiques sur l’Espagne. Le tableau est ensuite exposé à travers l’Europe et les États-Unis pour lever des fonds en faveur de l’Espagne républicaine.

Picasso politique. Un hommage à Pierre Daix

Son adhésion au Parti communiste français en octobre 1944 donne à Pablo Picasso une stature publique et engagée. À l’immédiat après-guerre, l’histoire du communisme est étroitement liée aux actions mondiales pour la paix, dans lesquelles l’artiste s’investit pendant plusieurs années. Le monde entier lui envoie des nouvelles des peuples en lutte et du prolétariat international. Ses relations avec le PCF se distendent après la violente polémique déclenchée en 1953 par la publication du portrait de Staline par Picasso dans Les Lettres françaises, que ses détracteurs jugent irrespectueux. Picasso reste membre du PCF jusqu’à sa mort. Selon Pierre Daix, biographe et ami de l’artiste, « le communisme de Picasso était une solidarité et une espérance ».

Dans le cadre de YIA (Young International Artists) Art Fair, le Musée national Picasso-Paris accueille, du 20 octobre 2015 au 20 février 2016, une œuvre de l’artiste contemporain Raphaël Denis, La loi normale des erreurs – Projet Picasso, réalisée avec l’aimable soutien de la galerie Sator et de la YIA Artfair.

Cette installation est le troisième opus d’un travail sur les spoliations nazies initié en 2014 par l’artiste Raphaël Denis. Des cadres enserrant des panneaux noirs sont disposés les uns sur les autres, évoquant le dépôt du Jeu de Paume où étaient rassemblées les œuvres d’art spoliées par les nazis. Leurs dimensions correspondent à celles des quatre-vingt-dix œuvres de Pablo Picasso qui figurent dans les inventaires de l’Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (E.R.R.), provenant des saisies réalisées chez de grands collectionneurs juifs comme Paul Rosenberg, l’un des marchands de Picasso. Certaines de ces œuvres n’ont pas été restituées, d’autres ont disparu ou brûlé dans l’autodafé de juillet 1943 du Jeu de Paume. Le Portrait de Mme Rosenberg et sa fille (1918) faisait partie des neuf tableaux de Picasso que Goering s’était accaparé pour sa collection personnelle. Il a été restitué après-guerre à la famille Rosenberg et est entré dans les collections du musée par dation en 2008.

Colombes

Parmi les centaines de lettres adressées à Pablo Picasso, nombreuses sont des demandes de soutien à des causes politiques et humanitaires : un condamné à mort à gracier, un prisonnier à libérer. Quand Picasso y répondait, c’était souvent avec un dessin. Tracts, journaux et livres témoignent de cette chaîne d’énergie qui fait passer un cas critique de l’ombre à la lumière. Un portrait par Picasso, réalisé sur photographie, garantit une vaste audience et un impact moral considérable. Le plus célèbre de ces dessins est la colombe que Picasso n’a pourtant destinée à aucune cause. C’est Louis Aragon qui choisit cette œuvre pour l’affiche du congrès de la Paix en avril 1949 à Paris.

Méditerranée

De 1948 à 1954, Pablo Picasso réside à Vallauris, petit village du sud de la France, où il pratique intensément la céramique et la sculpture. Cette période est particulièrement féconde pour les assemblages. La Chèvre, avec ses ceps de vigne, tige de palmier, morceaux de cartons, et pots de céramique, démontre tout le génie de la trouvaille picassienne. C’est un esprit joyeux et ludique qui anime l’artiste et redonne vie au bestiaire antique d’une Méditerranée éternelle. On retrouve ce même élan dans les linogravures réalisées quelques années plus tard à Cannes. Cette technique d’estampe où la forme est dégagée en relief, produit des images d’une grande lisibilité caractérisées par de larges aplats, des contours marqués et de forts effets de contraste.

Célébrité(s)

Pablo Picasso a connu les bouleversements médiatiques du XXème siècle : mutation de la presse, explosion du reportage, apparition de la presse dite « people », mais il a aussi vécu le début des « nouveaux média » que sont le cinéma ou la radio et les balbutiements de la télévision. Attiré par leur potentiel, il a accompagné ces développements avec gourmandise. Après la Seconde Guerre mondiale, l’homme politique actif s’est doublé d’un homme public, sujet de films pour Henri-Georges Clouzot, Luciano Emmer ou Paul Haesaerts, voire acteur, pour Jean Cocteau. Il a aussi été l’objet de nombreux reportages photographiques, dans la presse écrite française et étrangère, posant devant l’objectif des grands noms de la photo, qui ont aussi façonné son image. Jusqu’au milieu des années 1960, il est un personnage récurrent de VogueLife ou Paris Match, un titre avec lequel il va nouer une relation étroite.

Autour de La Tauromaquia

Ainsi que l’atteste la correspondance de Gustavo Gili père, l’éditeur avait dès 1927 projeté une édition de La Tauromaquia de Pepe Illo, manuel pour toreros et aficionados, célèbre en Espagne, pour laquelle Pablo Picasso avait alors réalisé six gravures. Ce projet non achevé fut à nouveau proposé par Gustavo Gili fils. Et c’est en 1959 que parut à Barcelone La Tauromaquia accompagnée de vingt-six aquatintes au sucre. À la différence des eaux-fortes de 1928-1929, qui traduisaient de façon tragique et violente la confrontation torero-taureau, les aquatintes donnent de la corrida une vision plus spectaculaire. Fidèle au texte, Picasso figure les différents temps de la corrida, saisit le mouvement et la fugacité de ce qui se déroule dans l’arène et traduit ainsi entre ombre et lumière la sublime tension des officiants et des aficionados lors du rituel tauromachique.

Céramique et Gravure

Pour Pablo Picasso, « la céramique fonctionne comme la gravure. La cuisson, c’est le tirage. C’est à ce moment-là que tu sais ce que tu as fait. Quand le tirage t’arrive, tu n’es déjà plus celui qui a gravé. Tu as changé. Te voilà obligé de reprendre ta gravure. Là, avec la céramique, tu n’y peux plus rien ». À partir de 1947, l’artiste pratique intensément ces deux techniques du multiple. Dans un va-et-vient témoignant de la perméabilité des domaines de création, il transpose motifs et gestuelle de l’un à l’autre. L’argile est incisée, grattée telle une plaque de gravure, tandis que les lavis sur zinc sont appliqués rapidement, avec la fluidité et la sûreté de la pose d’un engobe sur une terre crue. Reprenant les thèmes de l’Antiquité méditerranéenne, Picasso décline la figure du faune et réserve un traitement géométrique archaïsant aux personnages féminins.

Picasso intime

Maîtres

Les différents ateliers et demeures de Pablo Picasso témoignent du dialogue incessant que ses œuvres entretenaient avec sa collection de peintures, sculptures et arts graphiques. La collection de Picasso, dont une sélection fut consentie à l’État par donation, n’a été constituée, ni dans un désir de classement académique, où chaque école de l’histoire de l’art serait représentée, ni dans une quête assidue de la perle rare, mais par affinités électives et par le désir de s’entourer d’œuvres amies. On y rencontre ainsi des grands maîtres comme Louis Le Nain, Jean Siméon Chardin, Gustave Courbet,… témoignant du goût de l’artiste pour une certaine tradition française.

Joan Miró

En février 1920, lorsqu’il arrive à Paris, Joan Miró se hâte de rendre visite à son aîné Pablo Picasso dont il loue l’œuvre et avec la famille duquel il entretient des liens d’amitié. De retour en Espagne, dans une lettre à Picasso de juin 1920, Miró joint quatre photographies de ses œuvres, parmi lesquelles son Autoportrait de 1919, dont il dira plus tard qu’il était une « œuvre capitale dans [sa] production ». Il espère ainsi faire connaître ses œuvres auprès de Picasso qui s’empresse d’intéresser ses marchands Daniel-Henry Kahnweiler et Paul Rosenberg à la peinture de son compatriote. Originellement confiés à Josep Dalmau, marchand de Miró, l’« Autoportrait » (1919) et le « Portrait d’une danseuse espagnole » (1921) entrent dans la collection de Picasso, comme témoignages de l’attachement entre les deux peintres espagnols.

Henri Matisse

« Pôle Nord » et « Pôle Sud » aurait dit Pablo Picasso, selon Fernande Olivier, pour qualifier son tempérament et celui d’Henri Matisse, à la fois son semblable et son contraire. Matisse est, avec Auguste Renoir, le peintre le plus représenté dans la collection de Picasso. À l’automne 1907, Picasso échange avec Matisse un portrait de sa fille Marguerite contre une nature morte qu’il a peinte à la fin des « Demoiselles d’Avignon ». Depuis ce premier échange amical, les œuvres de Matisse font leur entrée dans l’intimité de Picasso comme autant de phares : « Bouquet de fleurs dans la chocolatière » (1902) et « Corbeille d’oranges » (1912) que Picasso acquiert en 1939 et 1942 ; « Tulipes et huîtres sur fond noir » (1943) offerte par Matisse au sortir du conflit. Après la mort de Matisse en 1954, Picasso laisse au centre de l’atelier de la Californie, une toile vierge et une « Femme d’Alger » prolongeant les odalisques du peintre disparu.

Picasso-Brassaï

Gyula Halász, dit Brassaï, né le 9 septembre 1899 à Brașov, est un artiste hongrois, naturalisé français, installé en 1924 à Paris. Proche de la bohême parisienne depuis les années 1920, il fait la connaissance de Picasso en 1932. Photographe, il peuple les pages de la revue surréaliste « Minotaure » des sculptures de Picasso et, plus intime, capture l’image des familiers de Picasso. Écrivain, il prend en notes les propos de l’artiste, constitue des dossiers par personne, et entreprend un travail de reconstitution dans les années 1960 pour aboutir aux « Conversations avec Picasso ». Enfin, dessinateur et graveur, il expérimente la gravure sur plaques photographiques à partir de 1934, réalisant une impression à chaque état de l’évolution du travail, et publie en 1967 une sélection de douze images de ces séries dans un portfolio de photogravures : « Transmutations ».

Au jour le jour

Picasso ne jetait rien. Ses archives d’une richesse exceptionnelle, accumulées au fil du temps, en témoignent. En plus des milliers de documents qui permettent à l’historien de mieux comprendre son processus de création artistique, il a gardé par centaines les papiers de la vie quotidienne. Ainsi, aux côtés des papiers officiels, personnels ou professionnels à conserver tout au long de la vie tels que les documents d’état civil, comptables ou bancaires, on trouve une multitude d’autres papiers. Des tickets de métro côtoient des billets d’entrée au théâtre, à la corrida, au cinéma… Des objets aussi, émouvants tant ils sont privés, tels que les répertoires et carnets d’adresses enrichis d’annotations, ratures et croquis, ou encore éphémérides et agendas, forment un ensemble cohérent dans sa diversité et sont autant d’indices qui permettent de mieux cerner l’homme que fut Picasso.

« Femmes ou modèles ? »

Pablo Picasso s’est aussi rendu célèbre pour sa biographie amoureuse, au point que l’on associe souvent ses compagnes à ses périodes artistiques. Les rapports de la vie à l’œuvre pour un artiste sont très complexes, et Picasso en a fait un axe en soi de son travail : confondant la maison et l’atelier, la femme et le modèle, il fait fusionner de manière inédite la vie et l’art. Les femmes de Picasso, modèles choisis et aimés – même si l’artiste ne peint quasiment jamais d’après modèle vivant – se caractérisent par leur forte personnalité, et certaines sont artistes. Olga Khokhlova était danseuse, Dora Maar photographe membre du groupe surréaliste, Françoise Gilot peintre. Fernande Olivier, Marie-Thérèse Walter, Jacqueline Roque, … elles sont des figures clefs de la vie d’homme mais aussi d’artiste de Picasso, et interviennent à plusieurs titres dans le processus créatif.

En famille

Marié à Olga Khokhlova en 1918, Picasso devient père pour la première fois à 40 ans, à la naissance de Paulo, le 4 février 1921. Quatorze ans plus tard, Marie-Thérèse Walter donne naissance à son deuxième enfant, Maria de la Concepción surnommée Maya. Claude et Paloma sont les enfants de Françoise Gilot, rencontrée en 1943. Les œuvres de Picasso représentant ses enfants sont nombreuses, témoins de ses multiples mutations et créations artistiques : enfants déguisés, jouant, dessinant, mangeant, dormant…, du néo-classicisme du début des années 1920, en passant par les distorsions d’avant-guerre jusqu’aux imbrications complexes des années 1950. De nombreuses photographies aussi, conservées dans ses archives, illustrent des scènes familiales dès la naissance de Paulo.